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Les dernières heures de Guernica

Gordon Thomas & Max Morgan-Witts

Ce livre existe en version « poche »


La couverture moderne de cette réédition d’un ouvrage paru originellement en 1975 a de quoi surprendre les connaisseurs d’aviation. Ce sont en effet des B-17 américains qui l’illustrent, alors qu’on s’attend plutôt à des Junkers ou des Heinkel. Ce détail, au demeurant insignifiant, pourrait dérouter certains, mais, à y regarder de plus près, l’image de B-17 en « carpet bombing » au-dessus d’une cible quelconque pour illustrer un ouvrage sur le bombardement de Guernica est une analogie qui ne manque pas de pertinence.

26 avril 1937. En pleine guerre d’Espagne, les troupes nationalistes de Franco s’en prennent aux séparatistes basques qui se sont joints aux forces républicaines. Désireux de frapper fort, tant pour porter un coup fatal à la résistance républicaine que pour étouffer les résurgences régionalistes, au nom du credo franquiste « España, Una, Grande, Libre », l’aviation allemande alliée à Franco effectue un bombardement massif de la zone de Guernica, la capitale spirituelle et traditionnelle du pays basque. Après le raid, Guernica n’est plus qu’un immense tas de ruines embrasées et devient rapidement synonyme, de par le monde, de la barbarie et de la cruauté de ses assaillants, les aviateurs « mercenaires » allemands de la tristement célèbre Legion Condor, dont l’évocation demeure aujourd’hui encore en Espagne un exercice risqué.

C’est la première fois dans l’histoire qu’une ville est délibérément attaquée et presque entièrement rasée par un raid aérien employant plusieurs types de munitions destructrices. C’est également la première fois que les théories stratégiques de puissance aérienne, apparues une décennie plus tôt avec l’italien Giulio Douhet ou les américains Mitchell et Sherman, sont mises en pratique. De par cette « première », Guernica préfigure clairement la guerre aérienne qui frappera le reste de l’Europe quelques années plus tard, avec le B-17 comme emblème incontournable.

Malheureusement, le terme délibérément est sujet à discussion. Dès après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, notamment dans un ouvrage du général allemand Adolf Galland, l’idée que le bombardement de Guernica n’était qu’une erreur de visée ou un accident de tir fait son apparition. Il faut également souligner que cette attaque n’a pas du tout été assumée par le camp franquiste, dont la propagande, jusqu’à la mort de Franco, continuait d’affirmer que les républicains basques étaient à l’origine de ce qu’ils qualifiaient « d’incendie de Guernica ». Régulièrement, au gré de joutes idéologiques, le déroulement des faits et les responsabilités du drame de Guernica sont remises en cause ou nuancées. Crime ou accident ?

Pour se faire sa propre opinion, la lecture de Les dernières heures de Guernica est incontournable. Dans un style proche des récits de Stephen Ambrose ou de Lapierre et Collins, Gordon Thomas et Max Morgan-Wits nous emmènent, minute par minute, dans les dernières heures de Guernica vécues par ses habitants mais aussi par les planificateurs et les exécutants du terrible raid. Le livre se lit facilement tout en collant systématiquement aux faits, sans entrer dans des jugements de valeur. Implacablement, les auteurs remontent aux sources stratégiques et idéologiques du raid et apportent une lumière instructive sur la fine limite entre l’accident et le crime. La simple lecture des faits, tels qu’ils sont scrupuleusement rapportés par les auteurs semble ne laisser guère de doute : le pont de Rentería, désigné sur les ordres de mission comme objectif principal, n’est pas traité avec l’habituel souci de l’efficacité, chère aux chefs allemands. Ainsi des Ju 52 et des He 111 à haute altitude et à la précision aléatoire sont chargés de cette mission alors que les Stukas ont déjà été employés avec succès sur des cibles plus réduites et plus difficiles d’accès. De même, des équipages très spécialisés, capables de parachuter des vivres dans une cour de 50 m2 au profit des nationalistes, commettent à Guernica de prétendues « erreurs de visée » de plusieurs centaines de mètres, alors qu’ils ne sont gênés ni par le relief, ni par les défenses antiaériennes d’ailleurs inexistantes. Le bombardement de Guernica serait-il donc une erreur due aux facteurs combinés d’une fatigue intellectuelle passagère des planificateurs et d’un ponctuel laxisme en mission des équipages, ou alors serait-il le fruit d’ordres oraux et de consignes discrètes soit de chefs locaux zélés, soit d’une hiérarchie politique supérieure ? Le doute raisonnable subsiste.

Brillamment servi par des journalistes aux talents reconnus et ayant effectué deux années d’enquête poussées, Les dernières heures de Guernica n’est certes pas une vraie nouveauté, mais les jeunes et moins jeunes ont ainsi une excellente opportunité de découvrir ou de redécouvrir à l’occasion de cette réédition, soixante-dix ans après ce drame fondateur, les faits d’un accident criminel ou d’un crime « accidentel » qu’il ne faut surtout pas oublier.

Timothy Larribau


352 pages, 14 x 22,5 cm, couverture souple
0,455 kg


Préface de Patrick Pépin

En bref

Éditions Nouveau Monde

ISBN 978-2-84736-225-1

22 €