De nos jours, l’espoir de fouler une terre vierge est vain. Pourtant, l’idée d’aller là où nul autre ne vous aura précédé est un rêve latent chez un grand nombre d’individus. Il y a quelques décennies que les derniers cas se produisirent, et ils provoquèrent à chaque fois un très vif intérêt à toute personne ayant connaissance de telles zones mal répertoriées. Aussi, lorsqu’en mai 1944 un avion de transport de l’USAF s’aperçut qu’au lieu d’un haut massif montagneux figurant sur ses cartes, le cœur de la Nouvelle-Guinée recelait une vaste vallée perchée sur un plateau de seize cents mètres d’altitude, le bruit se répandit vite et constitua pour les personnels de la logistique des campagnes du Pacifique un puissant dérivatif à l’ennui de la routine militaire.
Cette curiosité fut démultipliée quand les survols suivants annoncèrent avoir observé des traces d’occupation par des populations indigènes. Si les troupes japonaises en déroute en repli dans la jungle interdisaient d’y mener une mission terrestre, le relief y condamnait un atterrissage. Seuls quelques vols permettaient de constater que cette région inexplorée était bien habitée, faisant foisonner les esprits de toutes sortes d’hypothèses. Aussi quand en mai 1945, la pression ennemie se relâcha dans ce secteur et qu’un vol d’entraînement devint la couverture idéale pour effectuer un survol avec quelques passagers, les candidats ne manquèrent pas.
Mitchell Zuckoff nous relate avec moult détails ce qui n’aurait pu être qu’un pseudo-vol d’instruction, mais que l’excès de confiance transforma en drame. Situant avec exactitude les personnages et les actions dans ce monde coupé de la guerre, l’auteur nous fait connaître méthodiquement tous les avatars des trois survivants et de tous les acteurs de leur sauvetage. Ce ne sont pas moins d’une quarantaine de personnages que vous allez ainsi fréquenter en découvrant que certains ont vraiment une vie digne des scénarios les plus aventureux. Si le crash dans la jungle n’a rien de particulier (survoler de nos jours un tel environnement présente toujours les mêmes risques), la recherche et le secours aux survivants relève d’un temps où les moyens n’étaient pas les nôtres. Peu d’hélicoptères, et surtout totalement inadaptés aux circonstances d’alors, moyens de communications limités … L’état-major a beau envisager toute une palette de possibilités, aucune ne semble propice et rapide. Le récit, sans être haletant, ne vous lâchera plus. Vous abandonnerez rapidement le recours aux notes reportées en fin d’ouvrage* pour suivre cette cohabitation forcée de deux modes de vies séparés par 5 000 ans. En effet, les Américains, fidèles à leurs principes, ne laissent pas tomber leurs concitoyens et mettent une œuvre une logistique du succès. Au-delà des moyens de ravitaillement quotidien, la recherche du mode d’extraction est un peu sous-développée (on aurait pu rester grand public tout en expliquant en quoi, en 1945, l’hélicoptère et les autres moyens écartés ne convenaient pas, ceci sans trop alourdir le récit).
Il est remarquable de constater que soixante-cinq ans plus tard, les autochtones aient gardé par la simple tradition orale un souvenir aussi précis de ces évènements. Et pour une fois, que les Américains firent preuve en territoire étranger d’une retenue peu coutumière. Pour la fine bouche, je vous laisse trouver la coquille dans le nom de l’aéronef… laquelle survient au moment le plus critique du sauvetage, constituant un trait d’humour bien involontaire mais ô combien délicieux à ce moment du récit.
Par une écriture limpide, cette enquête historique sait faire oublier tout le sérieux que son auteur y a attaché. Que ce soit en vacances, durant vos transports ou vos loisirs hebdomadaires, ce livre vous réservera quelques heures bien remplies, que vous soyez amateur d’aviation ou parfait Candide en la matière.
François Ribailly
384 pages, 15 x 24 cm , broché
Traduction de Christophe Magny
* en moyenne une trentaine de notes par chapitre ; on prend vite l’habitude, à la première, de repérer par avance celle(s) d’intérêt par une longueur supérieure à deux lignes (les autres ne sont que les références des sources et témoignages, témoins du sérieux de l’enquête mais sans autre intérêt pour le fil du récit. On notera d’ailleurs que plusieurs sont issues du web et qu’alors la date de consultation est précisée… quand on sait la volatilité du web…). Sans compter les trois pages de références bibliographiques fort judicieuses.
NDLR : On notera que le mythe de Shangri-La (nom d’un lieu imaginaire où règnent paix et harmonie) date de 1933, date à laquelle parut Lost Horizon, un roman de James Hilton… où un avion s’écrase dans une vallée perdue de l’Himalaya. La découverte de cette « vallée oubliée » inspira vraisemblablement Barbet Schroeder pour son film de 1972 « La vallée » (avec musique de Pink Floyd).