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Les enseignements de la guerre d’Indochine (1945-1954) [Tome 2]

Rapport du général Ély

Les enseignements des conflits, tirés par les protagonistes aux niveaux les plus élevés de la hiérarchie et sans langue de bois, sont suffisamment peu nombreux pour qu’on leur accorde un intérêt légitime. Ainsi en va-t-il du rapport du général Paul Ely sur la guerre d’Indochine, dont le premier volume avait particulièrement retenu notre attention. Le second volume également publié par le Service Historique de la Défense, s’il est moitié moins volumineux, n’en demeure pas moins incontournable lui aussi, car touchant au cœur du « combat dissymétrique », c’est-à-dire de la guérilla contre la « manœuvre classique ».

La première partie, intitulée « Procédés de combat d’inspiration sino-soviétique », après avoir évoqué les procédés défensifs et offensifs du Vietminh, évoque la « relativité de certains de nos concepts tactiques » et notamment « l’efficacité relative de l’aviation » qui, tout comme les forces terrestres, était insuffisante en nombre et diluée dans le temps, de sorte que la densité d’occupation du ciel était trop faible, malgré l’absence de toute opposition aérienne ennemie : « Au demeurant, une aviation peut avoir la liberté du ciel, comme c’était le cas en Indochine. Mais si elle aligne un nombre insuffisant d’appareils, elle ne sera point capable d’entraver les desseins adverses » souligne le général Ely. Lequel précise encore que la nature du terrain et la météo ne sont pas les autres seuls responsables de cet échec relatif : « La rusticité de la logistique adverse diminuait singulièrement l’efficacité des forces aériennes ». Et sur un adversaire particulièrement bien enterré et camouflé, le napalm lui-même n’a pas les effets escomptés…

La seconde partie du livre s’intéresse aux armes considérées séparément, et après celles typiquement terrestres ― non dénuées d’intérêt bien que hors du champ de nos « compétences » (infanterie, arme blindée cavalerie, artillerie, génie, transmissions, chiens de guerre, logistique, service de santé, intendance, service du matériel) ― nous avons apprécié les chapitres consacrés aux troupes aéroportées et au ravitaillement par air. Le général Ely distingue les parachutistes d’assaut, dont la mission consiste classiquement à « découper à l’emporte-pièce une tête de pont dans un dispositif adverse » (immortalisé par les opérations aéroportées de la Seconde Guerre mondiale), de l’infanterie parachutiste, nécessitant des combattants aptes à « passer la porte » de l’avion sans entraînement poussé. C’est de ce genre de troupes, parachutées jusqu’à la dernière minute dans la fournaise de Dien Bien Phu (« 709 volontaires sautèrent pour la première fois sur le terrain chaotique après quelques heures d’entraînement seulement »), dont aurait manqué le Corps Expéditionnaire français. Le ravitaillement par air s’impose de manière croissante malgré les difficultés liées aux avions eux-mêmes, adaptés tant bien que mal au largage de volumes croissants (Ju 52 à la sauce française, qui ne dépaysent pas les légionnaires allemands du CEF, C-47 qui dans tous les cas doivent faire plusieurs passages pour larguer toute leur charge, C-119 et Nord 2051), et le général Ely note le manque d’avions capables de se poser et d’amener/enlever du matériel lourd sur des terrains sommairement aménagés (utilisation du Bristol Freighter, tandis que le projet du Breguet 941 est relégué aux oubliettes de l’histoire).

Le général Ely avait pris soin de mentionner dans une bibliographie tous les documents ayant servi à ses Enseignements de la guerre d’Indochine, ce qui contribue à en faire un véritable document à vocation historique, largement commenté et enrichi aujourd’hui par le capitaine Ivan Cadeau, du Service Historique de la Défense. Au-delà de l’expérience individuelle de chaque combattant, quelle que soit son arme, un tel document permet de tenter de comprendre a posteriori le déroulement de cette guerre si particulière, laquelle n’aura connu qu’une certaine médiatisation à partir du film de Pierre Schoendorfer (« Dien Bien Phu », en 1992), non sans polémiques… Quant aux « leçons de l’histoire » que l’on aime bien nous asséner sans cesse, qui peut dire exactement si les États-Unis d’Amérique ont pris connaissance de ce travail et en ont tiré les conséquences adéquates avant de s’engager sur le même théâtre d’opérations peu après la France, avec le résultat que l’on sait ?

Georges-Didier Rohrbacher


164 pages, 19,3 x 26 cm, couverture souple

Les enseignements de la guerre d’Indochine (Tome 1)
Les enseignements de la guerre d’Indochine (Tome 2)

En bref

Service Historique de la Défense

ISBN 978-2-11-129052-5

Chronique : Georges-Didier Rohrbacher
21 €