Regards croisés : deux regards différents pour un même ouvrage.
– Le commentaire de Jocelyn Leclercq
– Le commentaire de Jean-Noël Violette
L’introduction des notes de lecture de la page 209 résume parfaitement à quoi vous attendre en ouvrant cet ouvrage : « Si, comme moi, vous aimez la littérature humoristique dans le domaine militaire ». Voilà, c’est de cela qu’il s’agit. Une plume alerte, un ton familier, une sensation de partage et de transmission d’une tradition orale, au bar de l’escadrille. On pense inévitablement à « Chasseurs, mes frères » de Marc Lissy, car on retrouve les inévitables scènes de bizutage du jeune pilote tout juste arrivé en escadron, certains scénarios allant même très loin, avec mise en route de l’avion pour un vol de contrôle sans aucune transformation préalable…
Le Général Salini a choisi dans la plupart des anecdotes de ne pas identifier certains de ses anciens condisciples. Il consacre ainsi un chapitre à « L’abominable Babo », un autre à Mademoiselle Brancq, à Félix, à l’équipage d’une « Julie », Mimile, Anatole, Georges et « Étincelles », Castor et Pollux, le capitaine Paoli ou le commandant Mestral. Il évoque sans ambages une Armée de l’air qui a évolué, une école de l’air de 1948 aux antipodes du pôle d’excellence qu’on imagine maintenant, quelques héros de la deuxième guerre mondiale, indéboulonnables, la consommation d’alcool, une maladie propre à la base aérienne de Cazaux, la cazalite… Il ne cache pas sa volonté de simplifier certaines des situations qu’il a connues, comme l’affaire de Suez en 1956, mais cela convient parfaitement et ne dépareille en rien cet ouvrage qui donne le sourire en le lisant.
D’ailleurs, cela donne envie de se plonger dans le précédent livre de Jean-Paul Salini, « Derniers virages » . Est-il du même tonneau, prendra-t-on autant de plaisir à le lire ?
Le relatif anonymat des personnels évoqués s’accompagne d’une totale absence d’iconographie. Le portrait du Général Salini en quatrième de couverture montre un homme prêt à rire, dont la jovialité ne semble pas faire de doute. Le choix des illustrations de couverture est assez anachronique, car elles montrent des reconstitueurs devant un Hurricane et un Curtiss H.75, à Duxford. Or la carrière de l’aviateur s’est déroulée des années 1950 aux années 1970. Seule l’anecdote fameuse de la visite du Sultan du Maroc est arrivée avant sa présence dans l’Armée de l’air, étant survenue en 1931. Cette couverture pourrait tromper le lectorat potentiel en lui faisant penser à une autre période que celle couverte par le très amusant livre de Jean-Paul Salini.
Par sa liberté de ton, son style léger et surtout son contenu humoristique sur la pittoresque Armée de l’air qu’il a connue, ce livre procurera à tous ses lecteurs un très agréable moment. Chaudement recommandé !
Jocelyn Leclercq
S’il a fait connaissance en 1947 avec une École de l’Air assez tyrannique où commença sa formation de pilote de chasse, Jean-Paul Salini a selon lui connu, au cours d’une carrière de 33 ans qui le mena aux étoiles de général de division aérienne, deux autres Armées de l’air. Celle de grand papa, joyeuse et assez folklorique, puis une autre, beaucoup plus sérieuse, à l’avènement du Mirage IV, avec une standardisations des consignes et des comportements qu’imposa l’arrivée des armes atomiques. Cette évolution a continué avec le temps qui passe : « J’ai quatre-vingt-dix ans, et je suis allé dernièrement rendre visite à l’escadrille que j’ai commandée autrefois. Je me suis aperçu avec horreur qu’aucun des pilotes n’était né lorsque j’ai quitté le service. »
Ce sont les années les plus drôles, celles de sa jeunesse, qu’il vient nous raconter avec ces Folies de l’escadrille. Dans ce recueil de nouvelles, c’est une savoureuse galerie de portraits qu’il nous dresse, ceux de personnages pour lesquels il a gardé une grande tendresse, mais aussi de quelques autres qu’il égratigne pour notre plus grand plaisir. C’est souvent au fil d’anecdotes qu’il a vécues lui-même, et l’on apprécie alors un témoignage de première main, ou d’autres qui lui ont été rapportées, plus ou moins proches mais toujours en rapport avec ses propres affectations. La plume est alerte, légère, caustique parfois, souvent avec une truculence de la veine d’un Alphonse Daudet. On se régale à cette lecture pétillante, et il n’est pas rare que le fou-rire guette le lecteur au détour de quelque rocambolesque aventure.
Tout au plus peut-on remarquer que le mode de compilation des nouvelles, certaines ayant paru sur Internet et d’autres, au moins partiellement, dans un ouvrage précédent de l’auteur « Derniers virages« , fait que peuvent se produire quelques répétitions, par exemple « l’hypertrophie du Moi du capitaine Momo », la définition des pilotes abonnés, la triste anecdote du capitaine C. s’écrasant lors d’une démonstration trop audacieuse ou l’adage « Les gens sont méchants ; et moi qui rapporte ces ragots ». Mais notamment pour la dernière, comme on suppose dès qu’on la lit qu’elle accompagne quelque pique visant l’un ou l’autre Tartarin ailé, on ne peut que se réjouir de ce comique de répétition à la « Petit Nicolas ».
C’est donc un ouvrage à recommander par ces temps moroses.
Merci Mon Général pour nos zygomatiques parfois, mais presque tout du long pour ces émotions !
« Au hasard de ces voyages intérieurs je retrouve des visages amis, je sens encore l’odeur du kérosène sur les parkings, j’entrevois en un éclair les petites lampes de la rampe d’approche qui clignotent dans la pluie, je retrouve les soleils aveuglants des altitudes glacées, je vole, je vole encore. Je suis jeune. Je ne ressent plus des désagréments inséparables de la vieillesse. En écrivant ces lignes, c’est comme si je volais une dernière fois. »
Jean-Noël Violette
203 pages, 15,3 x 24,1 cm, broché, couverture souple
0,338 kg