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Les Français dans le Bomber Command

346 Squadron Guyenne – 347 Squadron Tunisie
Grande-Bretagne
septembre 1943 – octobre 1944
Guy Fruchart

Le thème des Groupes Lourds n’est plus tout à fait nouveau : Icare et feu Aéro-Éditions, pour ne citer qu’eux, ont déjà publié respectivement un ouvrage et un hors-série, ce dernier ayant été écrit par Guy Fruchart lui-même, l’auteur de ce présent livre. Guy Fruchart avait à l’époque présenté avec sérieux un sujet intéressant, avec cependant quelques lacunes et imperfections ; en connaissant la signature du livre, on partait donc rassuré avec cette publication de Lela Presse… en espérant voir les défauts corrigés, dont celui d’avoir trop « collé » aux journaux de marche. Le format court du hors-série avait obligé l’ancien éditeur à composer, mais aujourd’hui avec un livre de plus de 200 pages on a sans aucun doute l’ouvrage le plus complet qui soit quant à ces deux unités françaises de bombardiers lourds ayant servi sous l’autorité du Bomber Command entre 1944-1945.

Ceci dit, écrire un livre sur des unités de bombardement n’est pas chose aisée, car il n’est pas facile de faire revivre au lecteur la vie d’un équipage de bombardier qui doit faire de longs vols souvent ennuyeux et surtout répétitifs, pendant lesquels il se passe parfois rien de notable. D’ailleurs, on identifie plus facilement le héros aviateur comme étant un pilote de chasse et non comme un pilote de bombardier : c’est injuste et immérité certes, mais inévitable. Si un combat aérien entre chasseurs captive vite le lecteur, on peut difficilement le faire avec des vols de bombardiers qui frisent la routine. Dans ce registre, Guy Fruchart parvient à ne pas trop nous ennuyer, malgré le fait d’avoir opté pour une articulation tournant autour des journaux de marche et la description au jour le jour des missions effectuées par les deux unités. Sur ce sujet difficile à écrire, le texte n’est cependant pas aidé par une mise en page pas toujours claire : en ouvrant par exemple la page 79, on ne sait pas à quel période l’auteur fait référence alors que l’on suit les aventures au jour le jour, et il faut tourner plusieurs pages pour savoir que l’action se déroule en octobre. Un repère sur chaque page aurait permis de se repérer dans le temps et cela aurait été très utile pour ceux qui veulent trouver une mission particulière sans perdre du temps à feuilleter tout un livre.

Si, sur le fond, on ne peut que saluer l’indéniable et sincère travail de recherche de Guy Fruchart, on peut aussi regretter quelques points parfois teintés d’un manque de recul évident. Tout d’abord, notons l’absence totale d’explications sur les raisons de la création des « Groupes Lourds ». Une présentation de l’aspect politique franco-britannique aurait permis au lecteur de comprendre pourquoi deux unités seulement (en effet pourquoi pas une ou trois ou plus ?) ont été créées en Grande-Bretagne, alors que la création d’escadrons de Halifax ou de Liberator basés en Afrique du Nord alors française, et dépendants de la RAF était également possible, en alternative voire en simultané avec le Bomber Command : la RAF avait en effet davantage besoin en 1943-1944 d’escadrons « lourds » basés en Afrique du Nord qu’au Royaume-Uni. Ce contexte général manquait déjà dans le hors-série publié en 2000, lequel avait à l’époque fait l’objet de quelques critiques fondées. Quant à la partie opérationnelle, si elle est complète, elle est parsemée de quelques lourdeurs (même cela sied bien au sujet…), avec une utilisation abusive de termes comme « le lendemain », qui nous laisse dans un flou temporel certain… surtout lorsque l’on cherche une mission précise.

On retrouve aussi des erreurs difficilement excusables. Page 9, on nous présente les grades de la RAF dont certains n’ont jamais existé : Airman et Airman 1st Class sont complètement fantaisistes (au lieu de Aircraftman and Aircraftman 1st Class – abréviations AC2 et AC1) ou omis (Leading Aircraftman – LAC). D’autres sont empruntés à la hiérarchie de la Royal Army, comme Lance Corporal, qui n’existe pas dans la RAF. La crédibilité en prend un coup, d’autant qu’il existe une autre omission majeure dans le chapitre réservé aux décorations : il est étonnant, voire choquant, de voir oublié le DSO du commandant Puget, alors que l’on cite les récipiendaires de la DFC, sachant que le DSO a une valeur bien supérieure à celui de la DFC et que les Français ayant obtenu cette décoration ne furent pas très nombreux. Cette omission majeure, liée à une nomenclature des grades pour le moins farfelue, nous fait sentir que l’auteur ne maîtrise pas l’intégralité de son sujet et qu’il n’a pas complété le travail de recherche « périphérique » indispensable dans ce genre d’étude, se référant uniquement aux journaux de marche. Cela se ressent aussi dans la mauvaise traduction de certains termes anglais qui deviennent des anglicismes, comme « mitrailleur supérieur » (supérieur à quoi ou à qui ?) au lieu de « mitrailleur dorsal », « tourelle inférieure » ou « arrière » au lieu de « tourelle ventrale » ou « de queue ». Ce n’est certes pas dramatique, mais c’est agaçant à la longue, même si occasionnellement on retrouve les bonnes traductions.

On trouve également quelques maladresses dans certaines analyses. L’auteur trouve des codes « provisoires » pour certaines lettres (V, X, R et Y), sans penser que ces particularités sont peut-être tout simplement dues à des erreurs de typographie ou de transcription du secrétaire de l’unité, erreurs qui sont fréquentes dans les journaux de marche des unités de la RAF et non dues à de prétendues modalités qui n’ont jamais existé en tant que système ou règlement. Il tente d’analyser aussi les pertes des Groupes Lourds en regard de celles du Bomber Command en général, ce qui est fort hasardeux, car les pertes du Bomber Command auxquelles il fait référence incluent les pertes de 1939 à 1945, alors que l’on sait qu’il y a de fortes disparités entre les pertes de 1941 ou de 1942 (très élevées) et celles de 1944 ou 1945, beaucoup moins importantes. Il aurait été plus judicieux de prendre en considération les seules pertes de 1944 et de 1945, soient celles du Bomber Command, soit celles du 4 Group, unité de tutelle des Groupes Lourds, pour évaluer si les pertes étaient inférieures ou supérieures à la moyenne. J’avais noté ce même travers dans le chapitre présentant le Halifax, l’auteur s’étant livré à des comparaisons un peu hasardeuses avec le Lancaster : les chiffres avancés sur le Halifax englobent toutes les versions de l’appareil, or les performances d’un Mk.I ou d’un Mk.II et d’un Mk.III (version essentiellement utilisée par les Français) sont fort différentes. Autre détail : l’absence dans les annexes des dates de prise en compte de chacun des avions par les escadrons français (présentes dans le document RAF – AMF78) dont l’ajout aurait permis de donner plus de précision et un repère temporel intéressant absent du tableau de la page 188, ce qui le rend nettement moins utile et surtout incomplet.

En résumé, abordant un sujet trop rarement traité, ce livre a sans aucun doute le mérite d’exister, mais présente de nombreuses lacunes ou imperfections sur le fond, certaines étant plus dérangeantes que d’autres. Globalement, l’auteur reste trop « collé » aux journaux de marche, critique qui avait déjà été formulée il y a dix ans. Il est agaçant de revoir les mêmes défauts ; le niveau d’exigence devrait être bien plus grand pour un livre que pour un magazine hors-série.

Le « recyclage » de sujets rédigés par le même auteur n’est ni critiquable ni blâmable, tant dans les magazines que dans les livres, les sujets intéressants et les bons auteurs n’étant pas très nombreux… d’autant plus que le lectorat des périodiques est volontiers frappé d’amnésie. Il serait cependant souhaitable que les auteurs prennent en compte les remarques qui ont pu être formulées par le passé.

Philippe Listemann


208 pages, format 21 x 29,7 cm, couverture cartonnée
Profils couleurs de Thierry Dekker

– Collection Histoire de l’aviation N°26
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En bref

Éditions Lela Presse

ISBN 978-2-914017-56-5

42 €