Il fut un temps, pas si éloigné, où la jeunesse ne disposait pas d’ordinateur ni même de télévision, et où la distraction et le rêve provenaient le plus souvent de livres narrant des récits d’aventures parfois vécues. L’imaginaire était nourri de héros auxquels nous nous assimilions volontiers et qui, d’une certaine manière, nous servaient de guides dans une vie à construire. Il avaient nom Haroun Tazieff, Paul-Émile Victor, Roald Amundsen, Jean Mermoz, Thor Heyerdahl, Edmund Hillary et Tensing Norgay, Jacques-Yves Cousteau… Ils nous menaient aux confins du monde, mais étaient également nantis de qualités exemplaires qui nous faisaient rêver, et pouvaient aider les plus volontaires d’entre nous à façonner leur existence. En nous endormant, nous rêvions le soir d’être l’un d’entre eux (la mort en moins, bien sûr)… ou, pourquoi pas, plusieurs à la fois.
Voilà bien un propos qui a peut-être au nez de certains un délicat parfum de radotage. En attendant, on pardonnera à l’auteur de ces lignes de s’être réjoui que d’aucuns ressuscitent quelques-uns de ces doux dingues que l’on nomme « grands aventuriers ». Doux dingues ? Avouez qu’il fallait être zinzin pour partir comme Bombard sur l’Atlantique dans le but de prouver qu’on peut survivre en mer sans eau ni vivres. Et cette Alexandra David-Néel qui voulut être la première femme européenne à pénétrer dans Lhassa, la ville tibétaine interdite, et pour cela risqua plusieurs fois sa vie ; son récit de voyage est effarant. Et il y a aussi cet équipage de l’Endurance, le trois-mâts goélette d’Ernest Shackleton, qui vécut une aventure ahurissante en Antarctique. Certes, certes… mais l’aviation, dans tout ça ? Elle ne prend qu’une douzaine de pages dans ce livre, mais quelles pages ! Annick de Giry et Reno Marca ont réveillé Henri Guillaumet pour lui faire revivre sa terrible mésaventure andine de 1930 et Antoine de Saint-Exupéry afin qu’il s’écrase à nouveau dans le désert avec son Simoun.
Chaque aventure est narrée au moyen de vignettes qui sont autant de « mini-tableaux » très évocateurs. Aquarelles, dessins à l’encre et crayonnés nous rapprochent de ces grands aventuriers tout en maintenant avec eux une nécessaire distance. Les textes sont quant à eux le plus souvent empruntés aux récits que livrèrent les aventuriers eux-mêmes. Cet album, dont on aimerait pouvoir ultérieurement présenter des descendants, est d’un charme évident. À mi-chemin entre la bande dessinée et le livre d’art, il est d’abord et avant tout une évocation réussie de ces aventuriers un peu fous qui ont effectué un parcours exemplaire et hors du commun. Il est à même d’étancher la curiosité de la jeunesse comme celle des adultes, tout en charmant le regard.
Philippe Ballarini
64 pages, 27 x 29 cm, relié