Fait assez peu connu en Occident : avant leur mission (généralement leur unique et ultime), la plupart des kamikazés japonais rédigeaient une lettre qu’ils adressaient à leur famille, prioritairement à leur mère. Ce courrier était évidemment soumis à la censure, mais celle-ci était bien moins exigeante (ou vigilante) que ce que l’on pourrait imaginer, et si la trame était souvent « suggérée » par des officiers, quelques ressentiments ou rancœurs pouvaient filtrer. Par ailleurs, parallèlement à un testament « officiel », certains firent parvenir à leurs proches un testament « caché ». Même si bien évidemment la teneur de la plupart de ces documents est guidée par le souci de ne pas voir tomber le couperet de la censure, ils s’avèrent éminemment édifiants sur l’état d’esprit réel de ces combattants que leur pays vouait à la mort, quand bien même on savait en haut lieu que la guerre était déjà perdue lorsque, en 1944, furent créées les premières unités tokkōtai.
La seconde moitié du livre est consacrée à des interviews de cinq kamikazés survivants. On notera le fait que tous les cinq contestent le fait que leurs réservoirs ne contenaient que du carburant pour un « aller simple » ; ils précisent que le plein était fait avant chaque « sortie » — en dépit de l’importante pénurie en essence qui frappait le Japon en 1944-1945. Ces interviews sont menées avec intelligence et non sans finesse. On remarquera, tant dans ces entretiens que dans les écrits ci-dessus mentionnés, la désillusion et le ressentiment de ces hommes vis-à-vis des politiciens et de l’état-major, voire (mais très rarement) à l’égard de l’empereur. Les interrogations portent sur quantité de sujet variés, et permettent d’avoir une vision affinée du climat et des conditions de vie au Pays du Soleil levant à cette époque.
Écrits et interviews ne nous sont pas livrés « bruts de décoffrage », mais accompagnés d’un appareil critique étoffé autant que pertinent. Ce livre est un complément très profitable — voire indispensable — de l’ouvrage Les kamikazés japonais dans la Guerre du Pacifique du même auteur chez Economica. La lecture de ces deux volumes évite la vision stéréotypée qui domine le plus souvent dans les articles et ouvrages traitant du sujet. Vivement recommandé.
Philippe Ballarini
196 pages, 15 x 22 cm, broché
0,450 kg