Coup de cœur 2015 |
Se retrouver nez à nez avec un pavé de 700 pages, voilà de quoi refroidir les ardeurs de bien des lecteurs, même parmi les plus assidus. Le texte de la quatrième de couverture a beau être alléchant, le sujet peut bien se montrer attrayant, le livre ayant inspiré une série TV (The Mighty Eight*), l’hésitation — voire l’appréhension — est légitime. En prime, il s’agit dune traduction d’un livre américain**. N’allons-nous pas encore nous retrouver avec des approximations ou des termes impropres, comme c’est si souvent le cas avec les livres traduits ?
En réalité, ce livre est une chausse-trape. Dès que l’on a mis le nez dans le prologue, on sait qu’on ne le lâchera pas facilement… et qu’on n’en sortira pas indemne. Le sujet : la 8th Air Force, la fameuse Mighty Eighth, une unité américaine de bombardement qui devint la plus formidable de l’Histoire, avec près de 17 000 appareils. Elle fut, avec le Bomber Command britannique, le marteau qui frappa avec force et sans relâche sur le IIIe Reich. Elle fut également une grande dévoreuse de vies, de celles de petits gars venus aussi bien de grandes universités américaines que de fermes du Middle West, à qui on avait dit que leurs « camions à bombes » allaient mettre un terme à la guerre contre Hitler, et qui furent déchiquetés par la Flak ou les chasseurs de la Luftwaffe… quand ceux-ci ne se jetaient pas délibérément sur leurs bombardiers.
Ce livre est une grandiose fresque humaine autant qu’un ouvrage historique d’un niveau de détail très élevé. Il serait surprenant que soit écrite un jour une histoire plus complète et plus minutieuse de la 8th Air Force. L’ouvrage fourmille de détails qui le rendent très vivant. Quantité de sujets rarement abordés sont ici évoqués : les problèmes raciaux en Angleterre, l’internement en Suisse, l’alcool qui éteint le mal-être et l’angoisse, le départ aux USA en 1945 des « épouses de guerre », etc. Pour autant, Les maîtres de l’air est un livre d’historien et les trois années de combat de la Mighty Eighth sont détaillées sous tous les aspects, y compris stratégique et politique.
Comme c’est souvent le cas en ce qui concerne les livres venus d’outre-Atlantique, celui-ci n’est pas organisé sur le même mode qu’un livre francophone, et l’aspect un peu confus de sa structure pourra dérouter le lecteur, même si la construction est globalement chronologique. Cet aspect peu conventionnel présente néanmoins un intérêt inattendu : il stimule l’attention d’un lecteur qui se serait peut-être ennuyé dans un ouvrage conventionnel d’histoire de ce gabarit. Un premier accessit pour les traducteurs, Vincent Guilly et Laura Seeger-Lanchon, pour ce volume en français bel et bon, malgré quelques traductions incongrues de termes techniques, aéronautiques, militaires ou argotiques. Il est agréable de constater que la véritable édition consciencieuse existe toujours, avec une évidente relecture et une typographie soignée***. On remarquera des notes(fort rares il est vrai) en bas de page et non en fin d’ouvrage (où on ne les consulte jamais). Ouf ! Merci, M’sieur Michel Lafon !
Vingt pages de bibliographie viennent clore ce livre imposant mais pas indigeste, où l’on perçoit un profond travail de recherche associé à une importante collecte de témoignages sur une longue période. Une telle étude, aussi facile et plaisante à lire, est un phénomène rare. Sa structure n’est pas conventionnelle et, tout comme le livre de Richard Overy Sous les bombes (qu’il complète d’ailleurs fort bien), il pourra déplaire à ceux qui attendent un livre historique ayant un ordonnancement rigoureux, doté d’un index ; mais il apparaît comme d’une telle exhaustivité, abordant une infinité de facettes de son sujet, qu’on oubliera vite son aspect un peu désordonné.
Si le livre de Richard Overy est consacré aux deux instances du bombardement (le bombardant et le bombardé), l’approche de celui de Donald Miller est différente et plus « classique ». Certes l’auteur n’oublie pas les souffrances des civils sous les bombes, mais son propos est avant tout centré sur les boys qui comprirent très vite qu’il y avait des probabilités non négligeables pour que leur « Forteresse Volante » devienne leur propre cercueil.
Philippe Ballarini
* The Mighty Eight : Littéralement, « La puissante huitième » (Air Force). « Puissante », mais avec une connotation de « énorme », « imposante », « formidable »…
** Masters of the Air: America’s bomber boys who fought the air war against nazi Germany (Simon and Schuster, 2006)
*** Voilà une remarque qui pourrait paraître surprenante, mais nous assistons depuis quelques années à une telle dégradation de l’usage du français et de la typographie que l’on ressent du soulagement devant un ouvrage dénué d’accroc.
704 pages, 16 x 24 cm, broché
2 cartes, un carnet 8 pages de 15 photos N&B
1,010 kg
en français