Il y en avait près de 200 en service lorsque la guerre se déclencha en 1939 ; on ne trouve plus aujourd’hui qu’une vingtaine de ces plates-formes juchées la plupart du temps au sommet d’un poteau en béton, vestiges des phares aéronautiques qui balisaient à travers la France un vaste réseau de routes aériennes créé progressivement au cours de la période de l’entre-deux-guerres. À ce sujet pratiquement inédit, la mission « Mémoire de l’Aviation Civile » consacre un très bel ouvrage, confirmant une fois de plus le « coup de cœur » par lequel nous avions salué il y a quelques années la grande qualité de l’ensemble de ses publications.
Nous devons ce livre d’une centaine de pages, remarquablement illustré, à l’association « La Mémoire de Bordeaux Contrôle » qui travaille depuis de nombreuses années sur ce sujet original. Si la lecture des bulletins de la Navigation Aérienne* nous permet de suivre le développement de ce réseau, les membres de cette association de contrôleurs aériens ont poussé beaucoup plus loin leur travail en fouillant les archives, mais ils sont également partis sur le terrain à la recherche des installations survivantes, récoltant au passage les rares témoignages de ceux qui ont pu connaître la courte activité de ces fanaux, même si nous arrivons probablement quelques années trop tard pour interroger ceux qui étaient chargés de les mettre en œuvre: cantonniers, instituteurs, facteurs, etc.
L’ouvrage nous rappelle utilement l’existence d’autres expériences similaires hors de nos frontières, replaçant l’histoire de ce réseau français dans un cadre plus large : après quelques projets sans suite envisagés avant le début de la Grande Guerre, les premiers phares n’apparaissent véritablement dans notre pays que lors du conflit, pour aider au retour des bombardiers de nuit ; en revanche, les premières balises lumineuses étaient apparues dès avant 1914 en Allemagne afin de guider les nombreux dirigeables que ce pays avait déjà construits : la paix revenue, ce réseau s’étoffera rapidement, incitant certainement ses voisins nordiques à développer à leur tour leurs propres infrastructures, tandis que de l’autre coté de l’Atlantique, les Américains jalonnent dans le même temps une route postale entre les deux extrémités de leur pays.
En France, malgré les importants travaux lancés dès 1920, la carrière de ce réseau sera comme ailleurs très courte ; il sera rendu obsolète après la Seconde Guerre mondiale par la généralisation des moyens radioélectriques de navigation dont les premières expériences avaient été contemporaine de l’apparition de ces phares, tout comme l’avaient été les canaux creusés dans notre pays au début du XIXe siècle par l’apparition des chemins de fer. Seuls quelques phares implantés sur certains aérodromes reprendront du service dans notre pays après 1945, mais ils seront rapidement abandonnés, sans véritable utilité. Paradoxalement, lorsqu’on survole aujourd’hui les États-Unis de nuit, on constate que des phares de ralliement sont encore en service au sommet de la tour de contrôle de nombreux aéroports du pays, où le vol de nuit sous les règles VFR est beaucoup plus courant que dans notre pays.
Si les témoignages recueillis autour de l’emplacement de ces phares nous donnent une bonne idée de la manière dont ils étaient mis en œuvre, il reste à déterminer quelle fut la réelle utilisation d’un tel réseau pendant les vingt années de son activité. Les auteurs rappellent utilement que l’emploi de ces phares était conditionné par une relativement bonne visibilité : on a trop souvent lu qu’il étaient là pour guider les avions dans le brouillard ! En fait d’idées reçues, notons également que la plupart des phares de la route de Toulouse à Perpignan, à propos desquels on peut souvent lire qu’ils étaient destinés à guider les appareils de l’Aéropostale, ne furent installés qu’en 1932 ou 1933, alors cette compagnie aculée à la faillite était sur le point d’être fondue au sein d’Air France ! Elle avait par contre installé à ses frais une série de feux entre Bordeaux et Toulouse.
Pour revenir à l’utilisation de ce réseau, il est bon de rappeler que la nuit aéronautique commence sous nos latitudes trente minutes après le coucher du soleil, pour se terminer trente minutes avant son lever: elle définit ainsi ce qu’il faut entendre par vol de nuit; il ne faudrait cependant pas imaginer que le sommeil de nos (grands)-parents fut souvent troublé par le passage d’avions au beau milieu de la nuit, sauf à habiter près d’un des rares aérodromes militaires abritant des bombardiers de nuit : il faudra pratiquement attendre pour cela que la mise en service des Caudron Goéland ne permette à Air Bleu d’ouvrir de véritables lignes nocturnes. Comme le dit le chapitre intitulé « Voler de jour et de nuit pour concurrencer le train à l’international », il s’agit en réalité de partir tôt ou d’arriver tard ; il suffit de consulter les horaires des compagnies aériennes de l’époque pour constater que les premiers vols partent rarement avant sept heures du matin, tandis que les derniers avions arrivent au Bourget vers 23 heures, en provenance de Londres ou Amsterdam : malgré quelques tentatives au début des années vingt, aucune compagnie européenne ne prendra le risque d’ouvrir des lignes de nuit transportant des passagers. Y avait-t-il d’ailleurs un véritable marché en Europe ? Si on compte 900 km entre Paris et Berlin, de 6 heures de vol à 150 km/h, on ne mettra plus que 3 heures quand la vitesse commerciale approchera de 300 km/h à la fin des années trente, alors que le réseau français est enfin achevé.
Les horaires d’allumage de ces phares reflètent d’ailleurs le rôle qu’on entend leur donner : les seules balises systématiquement mises en marche chaque jour (presque uniquement la route Paris-Londres par Calais), ne le seront que pendant deux ou trois heures après le coucher du soleil ; il faudra attendre 1938 pour que presque tous les phares brillent systématiquement, toujours toutefois pendant la même période en début de nuit (aéronautique) : il s’agit bien d’aider au retour des derniers avions de la journée ; quelques balises fonctionneront aussi pendant les dernières heures de la nuit, en particulier le long de la Méditerranée, pour les premiers départs matinaux assurant la correspondance avec les lignes toulousaines vers l’Afrique. Finalement, seule la route de Londres et quelques autres phares resteront allumés pendant toute la nuit à partir du début de 1939. Peut-être ne faut-il voir là qu’une tentative de prouver à tout prix que ce réseau conservait un certain rôle, à un moment où les voix toujours plus nombreuses commençaient à mettre en doute son utilité face au développement des moyens radioélectriques, ce qui n’empêchera pas le projet d’une nouvelle branche vers Le Tréport et Londres en ligne droite sans passer par Calais, interrompue par le déclenchement de la guerre.
On le voit, le sujet est loin d’être épuisé, mais ce beau livre constitue en attendant la meilleure référence qui soit. La découverte du registre de l’un des préposés à l’allumage de l’un de ces phares – pour autant qu’un tel document ait pu exister – nous en dirait certainement beaucoup…
Comme souvent pour les ouvrages publiés par La Mémoire de l’Aviation Civile, les 1000 exemplaires qui ont été imprimés ne sont pas réellement commercialisés. Pour se le procurer, on pourra contacter l’association La Mémoire de Bordeaux Contrôle* sur son site web. Un versement de soutien à l’action de l’association sera certainement apprécié.
Pierre-François Mary
98 pages, 24x 24 cm, couverture souple
0,300 kg
* disponibles en ligne sur le site de la mission Mémoire de l’Aviation Civile.
* La Mémoire de Bordeaux Contrôle (CRNA/SO), 1 avenue de Beaudésert – CS 10023
33692 Mérignac Cedex France.