Le 26 juillet 1956, Gamal Abdel Nasser, président égyptien, annonçait publiquement la nationalisation du canal de Suez. Si cela mit en liesse de nombreux pays arabes, cela sema la colère en France et au Royaume-Uni, ainsi que l’angoisse dans le jeune état israélien. Cela fut à l’origine d’une crise importante au retentissement quasi-mondial. La suite est connue : mise sur pied d’une expédition, puis rapide retrait après les réactions négatives des États-Unis et de l’URSS. C’est grosso-modo ce que l’on retient habituellement de cette « affaire de Suez » (si tant est que l’on s’en souvienne peu ou prou). Or, ce que l’on semble considérer désormais comme un « incident fâcheux » sonna à l’époque comme un coup de tonnerre et était porteur de conséquences insoupçonnées — qui sont encore perceptibles de nos jours. La France sortait depuis peu de la Seconde Guerre mondiale, les cicatrices de la guerre d’Indochine étaient à peine refermées et les « événements » d’Algérie ressemblaient de plus en plus à une guerre meurtrière. Voilà vraisemblablement quelques raisons selon lesquelles l’expédition de Suez (auquel on ajoutera le fait que ce fut un échec franco-britannique) fait partie de ces événements historiques occultés.
Dans Les secrets de l’expédition de Suez, Denis Lefebvre développe le sujet et dévoile son ampleur. Le titre du livre, pour accrocheur qu’il puisse paraître, est tout à fait adapté au contenu de l’ouvrage. Car des secrets, il y en eut, et beaucoup ! Et certains pourraient même étonner ou faire sursauter le lecteur. D’autant plus que l’auteur a travaillé avec une précision d’entomologiste. Entendons-nous bien : Denis Lefebvre ne donne pas dans le sensationnalisme à trois sous. Tout ce qu’il rapporte est méticuleusement documenté, avec des sources (fiables) clairement précisées.
On se réjouira du caractère exhaustif de ce livre de petit format, qui nous mène des projets antiques de canal (entre le Nil et la Mer Rouge) aux conséquences du coup de force de Nasser, réussi avec la complicité des USA et de l’URSS. Si l’opérationnel n’est évoqué que dans le cinquième chapitre (23 pages), tous les autres aspects de cette crise, de ses origines les plus lointaines à ses conséquences, sont très largement détaillés. Incompréhensions entre anciens alliés, liens entre le Raïs et le FLN algérien, accord secret de Sèvres entre représentants du Royaume-Uni, d’Israël et de la France (document reproduit in extenso), la « connerie » de l’arrestation de Ben Bella, la fourniture par la France de l’arme atomique à Israël, les silences, mensonges et occultations des principaux protagonistes, qu’ils soient de Londres, Paris ou Tel-Aviv, tout ceci est largement exposé. Précisons que Les secrets de l’expédition de Suez est un livre à prendre au sérieux : Denis Lefebvre n’a rien d’un plaisantin et le CNRS* n’a pas pour habitude de publier des ouvrages fantaisistes véhiculant des canulars ou des approximations.
Le livre, de petite taille (11 x 18 cm), est imprimé sur du papier bouffant, ce qui fait que les reproductions iconographiques (en noir et blanc) sont de médiocre qualité ; l’usage d’un tel papier, adapté à l’impression de texte, concourt largement à la modicité du prix de vente de l’ouvrage (10 €). Quoi qu’il en soit, voilà un livre qui nous paraît indispensable à une bonne compréhension des années de l’après-guerre. Dans le registre des « bons points », on notera que les notes sont bien présentes en bas de page (et non regroupées en fin d’ouvrage) et que les annexes comprennent une bibliographie complète (10 pages), une chronologie et un index onomastique.
Philippe Ballarini
* CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique
280 pages, 11 x 18 cm, couverture souple
0,172 kg
Table des matières
– Introduction
– 1 : L’histoire d’un canal
– 2 : Le temps des diplomates et des politiques
– 3 : Les préparatifs militaires
– 4 : La situation en France et en Grande-Bretagne
– 5 : Le temps des combats
– 6 : Pressions internationales
– 7 : Suez et la bombe atomique
– 8 : Le secret, jusqu’au bout
– Conclusion
– Annexes