Que voilà une bonne idée ! Il est surprenant de constater à quel point est répandu le malentendu qui fait de Charles Lindbergh le premier humain à avoir traversé l’océan Atlantique par la voie des airs. Qui plus est, on trouve même parfois cette fausseté dans des écrits ou des documentaires en provenance du milieu aéronautique. Or, quand en 1927 Lindbergh devint célèbre en gagnant le prix Orteig*, cela faisait huit années déjà qu’Albert Cushing Read avait relié le nouveau et l’ancien continent, certes avec escales. Il est vraisemblable que l’exploit de Lindbergh occulta tous les autres parce qu’il reliait deux métropoles, mais également parce qu’il fut largement médiatisé.
On pouvait penser que ce livre serait une énumération circonstanciée des traversées de l’Atlantique d’avant Lindbergh, comme l’indique le titre. Le contenu est plus riche, et nettement moins aride. Par exemple, son introduction évoque la personnalité complexe de Lindbergh (dans un portrait à juste titre assez peu flatteur), puis quelques paragraphes sont dédiés à Nungesser* avant plusieurs pages consacrées au jeune pilote Pierre Marinovitch.
Après cette aimable introduction, on est en droit de penser que l’on va droit dans le vif du sujet. En fait, pas tout à fait. Histoire sans doute de « planter le décor », Georges Bornes consacre quelques pages à (entre autres) Pierre de Caters, pionnier belge de l’aviation, puis à Louis Blériot et à Roland Garros, qu’on ne présente plus dans ces pages.
La mise en bouche est finalement assez brève (une trentaine de pages), mais bienvenue. L’auteur évite la sécheresse du sujet en développant largement la présentation de chacun des candidats à la traversée. Vous avez bien lu « candidats », l’auteur évoquant également les tentatives. Oui mais voilà : Georges Bornes s’éloigne parfois très largement du sujet annoncé par le titre qui aurait pu être « Autour des raids transatlantiques… » À notre connaissance, ni Marinovitch ni de Caters n’ont envisagé « la grande traversée ». Pas plus Jean Olieslagers, Willy Coppens, Do-Huu-Vi, Edmond Thieffry ou Nissim de Camondo, pourtant largement évoqués dans ce livre. C’est sans compter sur le fait qu’au deux tiers de l’ouvrage, nous quittons l’Atlantique pour d’autres mers, d’autres cieux… et d’autres époques. Océans Pacifique, Indien, Arctique et Antarctique… même Charles Baudelaire a droit à quelques lignes.
On l’aura compris : les digressions sont au rendez-vous… souvent à la limite du hors-sujet. Pour autant, pour peu que l’on accepte de s’éloigner quelque peu de la matière initiale du livre, on y prend du plaisir. D’une part par son contenu qui, même s’il est volontiers hors-sujet, s’avère enrichissant. Et également par l’écriture fort plaisante de Georges Bornes.
Au bout du compte, un livre qui, s’il présente le défaut d’être mal titré et celui d’être un peu « foisonnant », n’est pas bon à jeter aux orties. Plaisant à lire, il permet de passer un moment agréable tout en enrichissant sa connaissance de l’histoire de l’aviation… de façon aussi informelle que captivante. On notera au passage une sorte d’intérêt particulier de l’auteur pour les pilotes belges.
Philippe Ballarini
*Juste après la Grande Guerre, en 1919, Raymond Orteig, homme d’affaires américain d’origine française, avait créé un prix de 25 000 $ (une petite fortune !) récompensant le premier aviateur (allié !) qui, par un vol sans escale, relierait New York et Paris.
*Georges Bornes, qui écrit que « on sait de manière quasi irréfutable que l’Oiseau blanc… est le véritable vainqueur de l’Atlantique… » semble avoir une foi monolithique dans les assertions de Bernard Decré (foi que nous ne partageons pas), même s’il écrit une ligne plus bas « Mais malheureusement aucun élément concret, depuis près d’un siècle, n’a permis de prouver toutes ces suppositions. »
255 pages, 14 x 21,5 cm, broché
0,337 kg