Pendant de longues décennies à la fin du XXe siècle, la seule manière d’accéder à une carrière aéronautique civile en France était de passer par les fourches caudines des centres nationaux. Parmi ceux-ci, celui de Saint-Yan avait une position à part : c’était le centre ultime, et il n’y avait rien au-dessus pour qui avait le plus élevé des objectifs, devenir pilote de ligne. Pour les stagiaires, ce n’était pas toujours facile, mais beaucoup en ont gardé une grande nostalgie.
Le centre de Saint-Yan a ouvert ses portes en 1948, porté à bout de bras par Louis Notteghem et l’équipe qu’il a su réunir autour de lui. Ce grand pilote ayant épousé Suzel Dubois, qui pouvait mieux nous raconter cette double aventure que Jean-Loup et Patrice, ses fils, et Philippe Dubois, son neveu ? C’est en tous cas la période 1948-1968 qu’ils narrent de façon très précise dans cet ouvrage.
Qui dit évangile dit, auparavant, Genèse. C’est l’objet des 95 premières pages, centrées autour du personnage de Louis Notteghem. Le risque aurait été que, écrite par ses fils et son neveu, cette partie biographique tourne à l’hagiographie. Les auteurs semblent s’être méfiés de ce piège. Nous découvrons la jeunesse de Louis, sa découverte du modélisme et de l’aviation, sa formation militaire comme pilote puis comme moniteur, et enfin, pendant l’Occupation, tous les doutes et incertitudes que l’on peut imaginer quant à la poursuite d’une carrière de pilote. La renaissance de ses projets, à la Libération, avec un passage par le centre national de Challes-les-Eaux qui va être déterminant, est particulièrement bien détaillée. Il est agréable de découvrir un point de vue exceptionnel, vu de l’intérieur, extrait des nombreux échanges épistolaires entre Louis et sa jeune épouse. La Genèse se poursuit par le récit de la brève affectation de Notteghem à Carcassonne, et par une courte histoire pré-1948 de la plateforme de Saint-Yan. Détail appréciable, les dates importantes sont rappelées au fil du texte sur un fond différent par mesure de clarté.
Le deuxième chapitre, en un peu plus de 260 pages, nous raconte l’histoire proprement dite du centre national charolais sur deux décennies. On appréciera au passage la raison gastronomique du choix de cet emplacement. Cela commence de manière chronologique, puis la présentation se fait plutôt thématique : la voltige, le parachutisme, les avions utilisés, les championnats, les meetings, etc. avant de grouper pour les années 53-68 différents points concernant la formation des pilotes de ligne. Ce choix éditorial permet de bien développer les thèmes choisis, mais entraîne parfois des répétitions sur quelques aspects (championnats parachutistes ou utilité de la voltige par exemple).
Arrêtons-nous sur un des principaux thèmes, clin d’œil du titre de l’ouvrage. L’énorme apport à l’aviation nationale de Saint-Yan, c’est sa « Méthode française d’apprentissage du pilotage » rédigée par Notteghem et ses équipes. Cette méthode, avec ses références à des informations visuelles (plan d’évolution, pente, cadence, inclinaison) et son approche analytique du pilotage, permit de mettre au rencard les vieilles recettes accidentogènes d’avant-guerre du style « Suivez-moi aux commandes, puis faites comme moi ! ». En mai 1954, sous la plume amusée du journaliste Raymond Sirretta dans son tout nouveau magazine « Aviasport » où il la publie en feuilleton, cette méthode devient « l’Évangile selon Saint-Yan » et l’expression va rester. Diffusée dans les autres centres nationaux, cette méthode va devenir la colonne vertébrale de toutes les formations aéronautiques en France, et parfois à l’étranger.
On est évidemment déçu que ce récit historique s’arrête en 1968, surtout quand les auteurs nous disent que Louis Notteghem a terminé sa carrière dans ce centre national en 1980. Mais, pour nous consoler, et à la manière des bonus que l’on peut trouver sur un DVD, les auteurs nous gratifient d’une dernière partie représentant une quarantaine de pages sur « Saint-Yan côté village/Saint-Yan côté terrain ». C’est la vision qu’on pu avoir les jeunes Notteghem et Dubois de la relation plus ou moins proche qu’avaient les aviateurs de Saint-Yan avec leur entourage immédiat au village et alentours, les amitiés, les mariages, les fêtes… C’est très intéressant car peu courant comme genre de témoignage.
Ne ratez pas non plus la préface de Gérard Feldzer. C’est généralement un exercice de style que l’on peut être tenté de passer sans s’y arrêter. Ici, il est certain qu’elle vous mettra de bonne humeur, soit avant de commencer la lecture, soit en y revenant ensuite, comme une cerise sur un gâteau.
L’iconographie, en noir&blanc comme en couleur, est remarquable, et contribue largement au nombre de pages élevé de ce livre.
Malgré le soin apporté aux recherches, on trouve quelques typos et petites erreurs d’identification de machines ou de personnages. Mais, sur plus de 400 pages, cela reste raisonnable (*) .
Un puriste pourrait aussi regretter de ne pas trouver de récapitulation exhaustive des avions utilisés, ni une liste des stagiaires étant passés par Saint-Yan, ce qui transforme généralement les anciens stagiaires en lecteurs potentiels.
Mais, en tous cas, pour la période concernée 1948-1968, cet ouvrage est à recommander chaudement et restera certainement pendant longtemps… parole d’évangile ! Et pour ses auteurs, quand il s’agira de transmettre à leurs descendants la saga familiale, un nouveau testament …
Jean-Noël Violette
* Notes, sans compter les erreurs de typo :
– Page 63, il n’existe pas de planeur P40. Il s’agit d‘un AVIA 40P ;
– Page 63, le « brevet D » n’existe pas, c’est un abus de langage courant sur les aérodromes. C’est par contre bien expliqué page 67 ;
– page 67, le Spalinger S-18 III n’est pas allemand, mais suisse. Il s’agit a priori d’un ancien appareil de Nessler ;
– Page 67/68, pour le Grunau Baby, on ne met pas de tréma, ni à l’avant, ni à l’arrière ;
– Page 70, sur la photo du haut, il s’agit de Michel Guyard, pas de René Branciard ;
– Page 100, la présence d’un Curtiss en avril 1944 est surprenante ;
– Page 116 « Olivier Chevalier ». Il s’agit certainement d’Olivier Le Chevalier, très présent par ailleurs dans l’ouvrage ;
– Pages 137, 188 et 201 : « Storch » (cigogne, en allemand) et non pas « Stroch » ;
– Page 158 : F-BANG et F-BBYI ne sont pas des Ju 52 mais des AAC-1 (c’est mieux expliqué pages 138, 139, 142) ;
– Page 413, une erreur de prénom dans les références des photos.
416 pages, couverture souple, 21×24,7 cm
Nombreuses photographies en n&b et couleur
1,660 kg
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