Coup de cœur 2015 |
Introduit par une très belle préface de Paul et Marie-Catherine Villatoux (chef du bureau « air » de la division études et enseignement au service historique des armées), cet ouvrage est en fait une réédition des récits de guerre du lieutenant Anselme Marchal, aviateur, publiés en 1919 sous le titre « Après mon vol au-dessus de Berlin, ma captivité, mes évasions » et tombés depuis dans les abysses de l’oubli.
Breveté de l’Aéro-club de France en décembre 1910, l’aviateur réside depuis 3 ans à Warnemünden, au bord de la Baltique, afin de préparer le concours d’hydravions qui doit avoir lieu du 1er au 30 août 1914. Lors de ses essais, il a eu l’occasion d’échanger avec le prince Henri de Prusse, frère cadet du Kaiser et chef de l’aviation allemande. Il maîtrise donc parfaitement la langue de Goethe et connaît le monde aéronautique allemand ! Il se trouve ainsi aux premières loges pour constater que dès juillet, Guillaume II a mobilisé ses troupes, laissant présager un affrontement prochain.
Dès le 2 août, à l’heure où la mobilisation générale a été décrétée en France, Anselme Marchal décide de regagner au plus vite la mère patrie, au prix de mille ruses pour passer la frontière. Descendant d’une famille alsacienne ayant refusé de se plier au joug prussien, l’aviateur est né de nationalité française mais à Moutiers en territoire helvétique. Le regard du sous-officier chargé de filtrer les voyageurs en gare de Cologne ne s’accrochera qu’au lieu de naissance. Première évasion réussie !
Dès son arrivée à Paris, Marchal se rend au service aéronautique et est affecté, dès la mi-août, à la MS 23 basée à Saint-Cyr, puis au camp retranché de Paris, dirigé par le commandant Adolphe Girod. Le dossier du pilote a intéressé l’officier au plus haut point et il ne tarde pas à lui demander de lui fournir une étude pointue sur l’état de l’aviation allemande.
Mais, le lieutenant Marchal caresse un projet depuis quelque temps : effectuer un raid aérien sans escale jusqu’à Rovno en Russie, via Berlin puis revenir par l’Autriche pour atterrir en Italie par la plaine du Pô. Le but de ce périple est de larguer des milliers de tracts au-dessus de Berlin et de Vienne pour informer les habitants que leurs dirigeants les ont bernés et ont prémédité la guerre. Sur sa demande, Marchal rejoint donc la MS 49, basée à Corcieux dans les Vosges, pour préparer la mission qui lui sera confiée par le chef d’état-major en personne, le général Castelnau.
En juin 1916, l’aviateur prend son envol à partir du terrain de Malzéville, près de Nancy, à bord d’un Nieuport X spécialement conçu pour réaliser un raid de plus de 1400 kilomètres sans escale. Il parvient à se délester des 2/3 de sa cargaison de tracts au-dessus de Berlin. Hélas, le moteur du Nieuport montre d’inquiétants signes de faiblesse alors qu’il s’approche du but. Obligé de se poser après un périple de 1300 kilomètres, il atterrit dans les arrières-lignes autrichiennes, à Cholm. Capturé par une patrouille, Marchal va alors connaître l’enfermement pendant plus d’une vingtaine de mois, transféré de camp en camp (Salzerbad en Autriche, puis Landshut, Ingolstadt et Magdebourg en Allemagne). Après deux tentatives avortées d’évasion, il parvient à s’échapper de la sinistre forteresse de Magdebourg en compagnie de Roland Garros au début de l’année 1918.
Remercions tout d’abord Marie-Catherine et Paul Villatoux de proposer aux lecteurs d’aujourd’hui cet ouvrage autobiographie d’un pilote de la Grande Guerre hors du commun. Dans ce témoignage, le pilote relate ses conditions de détention, ainsi que celles des soldats alliés dans les camps où il a séjourné bien malgré lui. Marchal analyse finement le comportement de ses geôliers qui ont une interprétation bien particulière des droits de prisonniers de guerre. Agréable à lire par un style fluide et un vocabulaire délicieusement désuet (usage du subjonctif) que les amoureux de la langue française apprécieront à sa juste valeur, L’extraordinaire épopée du lieutenant Marchal est le premier coup de cœur de l’année 2015, et en ravira, sans doute, plus d’un.
Corinne Micelli
312 pages, 15, »5 x 24 cm, broché