Voilà un livre passionnant et plein d’espoirs. Si l’industrie de défense (15 milliards d’euros) pèse peu au regard de l’agroalimentaire (169 milliards), de l’automobile (104 milliards), des machines-outils (49 milliards), de l’informatique électronique, optique (33 milliards), sa proximité avec l’industrie de la sécurité qui se développe lui offre des perspectives étonnantes. La cybercriminalité, le terrorisme, la protection, les risques écologiques… sont des domaines ou la porosité avec les technologies de défense est grande.
Claude Serfati passe en revue les grands groupes de défense, EADS, aujourd’hui Airbus Group, Safran, Thalés, Dassault, DCNS, Nexter. Il rapporte leur évolution et leurs relations. Il analyse aussi les grandes entreprises, Zodiac, Aérospace… et les entreprises de taille intermédiaires et petites en précisant les rôles de chacune .Il regrette au passage que par suite de sa défaillance, lorsque l’État verse des intérêts moratoires, ceux-ci ne vont pas hélas jusqu’aux PMI du secteur. Il note la richesse technologique des industries de défense.
L’auteur analyse l’impact des LPM* qui symbolisent ce qu’était autrefois le Plan et qui sont un outil véritable de dirigisme dans un océan de libéralisme. Les LPM ont notamment l’avantage de « sanctuariser » les dépenses de défense. En quelque sorte une utopie qui satisfait tout le monde, sauf que les budgets ne sont pas toujours à la hauteur des espérances, la part du PIB passant de 2010 à 2014 de 2,4% à 1,8% ! Claude Serfati évoque les réussites de ces LPM mais aussi les échecs, notamment celui, retentissant, des programmes drones qui se terminent par l’achat de matériels américains alors que la France possède les savoir-faire !
L’expertise du Livre blanc « Défense et sécurité nationale » de 2013 et notamment au sujet des technologies critiques et technologies clés est particulièrement intéressant. L’auteur note au passage que certaines entreprises transfèrent dans le cadre de cessions des technologies à l’étranger ; c’est le cas par exemple des turbines des sous-marins Rubis. L’identification des technologies de souveraineté et des recherches à conduire est programmée. L’auteur rappelle, habilement, qu’Internet est une création des militaires US, et que cela devrait conduire à développer la R&D* en imaginant un « écosystème de recherche ». Il s’inquiète également des réductions des budgets de R&D des grands groupes et de leur quasi absence dans les PMI*.
Pour des programmes qui mobilisent de plus en plus de fonds publics, la coopération européenne devient une nécessité. Il n’y a en fait que deux états qui ont un budget de défense significatif : la France et le Royaume-Uni. Les difficultés sont grandes et les dérives, par exemple, des programmes A 400 et de la frégate Fremm est instructive des efforts qu’il convient de développer tout en laissant aux états-majors militaires des droits de regard sur les programmes en préservant les propriétés intellectuelles correspondantes. L’approche européenne complexe est cependant nécessaire. L’auteur évoque aussi les marchés à l’étranger qui induisent souvent des transferts de technologie qui à terme vont faire émerger des compétences nouvelles chez les contractants.
L’industrie de défense française et ses 160 000 emplois de haute technicité est un moteur de développement considérable qui irrigue tous les autres secteurs au gré notamment des partenariats public-privé. Les parlementaires, qui votent les crédits de la défense seraient bien avisés de se tenir informés des contenus de ce livre remarquable.
Philippe Bauduin
* LPM : loi de programmation militaire
* R&D : recherche et développement
* PMI : petites et moyennes industries
232 pages, 16 x 24 cm, broché