Voici un titre quelque peu réducteur !
Si la zone géographique considérée est bien celle délimitée par ces deux fleuves côtiers, la période couvre finalement tout le conflit de 1939-1945 et évoque également les autres faits du moment qu’ils soient aériens et amènent un impact direct sur les populations vivant aux abords de la forêt d’Eu, au nord de la Seine-Maritime.
Cette mise en perspective n’est pas sans intérêt même si l’ouvrage a été mis sous presse à l’occasion des 75 ans de la Libération et se concentre sur l’évènement majeur ayant animé cette région : l’activité liée à l’usage du V1, cette « bombe volante » qui est en fait le premier missile de croisière opérationnel de l’histoire de l’aéronautique.
Fruit d’un continuel travail de collecte de témoignages, d’investigations tant sur le terrain que dans les archives, d’inventaire précis et minutieux de tous les sites comme de la technique utilisée, cet ouvrage est précieux à l’heure où les témoins se raréfient et que les sites eux-mêmes tendent à disparaître sous une nature ayant repris ses droits. En effet, pratiquement une vie d’homme s’est écoulée, les arbres ont eu tout le temps de repousser et venir masquer les constructions opérées, du moins celles qui n’avaient pas été détruites par les combats ou par la ré-affectation aux activités civiles des zones réquisitionnées par les troupes allemandes.
Cet ouvrage à six mains est en fait la combinaison de deux (trois ?) livres s’épaulant mutuellement : chacun dans son domaine produit les éléments permettant de mettre en scène ces actions qui ont martelé ce petit bout de France durant une année.
L’un décrit par le menu, la conception et la technique du V1. On comprend alors en quoi cette arme d’un genre nouveau est tout à la fois innovatrice, simple (mais pas simpliste) et d’une logistique relativement légère bien que dépendant de sites fixes qui vont faire le malheur de cette contrée. L’implantation de ces aires de lancement est également contée par le menu : choix des terrains, rapports avec la population locale (parfois utilisée « en couverture », parfois expulsée sans contre-partie), impacts en découlant : « vivre avec le V1 », c’est l’entendre à chaque lancement, redouter un dysfonctionnement qui amène une chute (et il y eût pas mal de « déchets »…) … mais aussi les opérations aériennes qui vont se multiplier les trois premiers trimestres de 1944.
Il restera au lecteur à prendre un peu de recul pour constater toute l’énergie dépensée pour contrer cette nouvelle arme quand, en regard, on songe à ce qu’elle a effectivement produit comme dégâts en Grande-Bretagne. Mais aussi ceux dans le Pays de la forêt d’Eu entre les lancers loupés … et les bombardements non maîtrisés amenant à ces largages hors cible.
Là est le second axe de l’ouvrage, intercalé au premier : celui qui inventorie les missions, leur déroulement et résultats et s’attache à nommer toutes les personnels victimes de leur devoir. Sans oublier, au sol, celles qui ont perdu la vie : françaises, allemandes mais aussi d’autres nationalités (ouvriers requis et prisonniers). Et en n’oubliant pas de donner la parole aux témoins (d’époque ou de nos jours) sur les impacts de ces entreprises.
Comme rien n’est parfait en ce bas monde, nous regretterons quelques menus détails dénotant une composition peut-être menée un peu trop rapidement : ainsi par exemple, une note de bas de page destinée au profane décrit le P-38 Lightning … mais il n’est rien dit du terme plus intimiste de « Bombphoon » (qui connait un minimum les avions de cette période fera le rapprochement avec le chasseur-bombardier Typhoon de la RAF ; quid pour les autres ?). Notes au demeurant en caractères trop petits pour nos yeux mais heureusement portées au bas de la page considérée. Même police trop fine pour les légendes des très nombreux schémas et cartes, par ailleurs très clairs et soignés.
Avouez que c’est bien peu en regard du temps passé au fil des années à rassembler toutes ces données, les recouper, les mettre en perspective ! D’autant que le prix est relativement doux (moindre d’une quinzaine d’euros en regard des prix habituels de ce genre d’ouvrages).
Si le descriptif technique (qui occupe un tiers de l’ouvrage car abondamment illustré autant de photos que de plans, schémas et de cartes) ne sera pas lu d’un bloc, sa précision et sa progression le rendent accessible même aux esprits les moins familiers à de tels documents ; s’en suivent la définition et l’inventaire des bases de lancement, incluant les pages les plus émouvantes : celles qui s’attachent à l’humain, quel qu’il soit (civil ou militaire, de toutes nationalités). Renouant ainsi avec les deux premiers chapitres qui évoquent les faits de guerre survenus avant 1943.
Remercions ici l’initiative de la communauté interrégionale d’Aumale – Blangy-sur-Bresle d’avoir su porter sur les rotatives le fruit de ces patientes et méticuleuses années d’enquête par des auteurs aux travaux déjà plusieurs fois salués; celui-ci n’en est pas moins remarquable.
François Ribailly
336 pages, 21,5 x 30 cm, relié, couverture rigide