La vie d’aérobibliothécaire n’est pas toujours facile, et il est des livres délicats à évaluer. Prenez cet Oiseau blanc, arrivé en cette fin 2017.
Il y a d’abord la promesse : en guise de présentation, sur le site de son éditeur, un texte du scénariste, Pascal Bresson, expliquant que « cette bande dessinée, pertinente, une enquête digne de Sherlock Holmes, apporte de nouveaux éléments, de nouveaux témoignages », avant d’affirmer que l’Oiseau blanc est arrivé entre Terre-Neuve et Saint-Pierre et de conclure : « Charles Nungesser et François Coli ont été privés de leur gloire posthume… »
Devons-nous juger cette promesse, une réécriture récente de l’Histoire visant à faire des Français les vainqueurs de l’Atlantique (ce qu’Alcock, Brown, Coutinho, Cabral et consorts apprécieraient particulièrement) ? Tant que les restes de l’Oiseau blanc n’auront pas été retrouvés, aucune conviction ne pourra dépasser l’unique réelle certitude : il a disparu quelque part entre le Royaume-Uni et l’Amérique. La présentation, affirmative et sans nuance, est donc malhonnête.
Surprise : la dernière séquence, c’est le décollage de l’Oiseau blanc du Bourget !
Mais la bande dessinée, elle, ne dit rien de cela : il s’agit d’une biographie romancée à la gloire de Charles Nungesser, commençant en 1923 lors de sa tournée d’exhibitions américaines et se terminant le 8 mai 1927, au franchissement des falaises d’Étretat.
D’un côté, il nous faut donc avertir le lecteur qui s’attendrait à découvrir une enquête moderne : la présentation est fausse. Mais d’un autre côté, il faut saluer ce cas rare : malgré ses libertés romanesques, l’œuvre est infiniment plus honnête que le résumé ne le laisse penser. Nous serions même tentés de la qualifier d’excellente surprise !
Quant à savoir pourquoi l’éditeur a choisi de publier une présentation sans rapport avec l’ouvrage, cela restera notre point d’interrogation…
Les fans d’André Taymans et Erwin Drèze retrouveront avec plaisir leur ligne classique, précise et lisible, assortie d’une mise en couleur dynamique de Minte.
Enfin, si nous jugeons la bande dessinée et elle seule, hors de tout contexte, ce n’est qu’à peine plus simple.
D’une part, elle regorge de qualités : c’est un récit héroïque classique, au découpage précis et au rythme enlevé, qui tient son lecteur en haleine d’un bout à l’autre. Les graphismes associent classicisme assumé, dynamisme et lisibilité, collant parfaitement à la tonalité de la narration et assurant une lecture agréable.
Mais Bresson en fait parfois trop : certains passages sont un peu verbeux, des séquences sont tirées par les cheveux et, surtout, il n’hésite pas à tordre la vérité historique. Ainsi, il place la rencontre entre Bellot et Nungesser dans une bagarre de bistrot dans le Wyoming en 1924 ; or, tous deux anciens de la « 65 », ils ont commencé la tournée américaine ensemble.
Un pygargue qui s’en prend à un avion, cela tient déjà de la légende urbaine.
Mais qu’il ait l’intelligence d’identifier que, dans cette machine, c’est le casque du pilote qu’il faut attaquer ?…
Il faut également signaler des approximations coupables : s’il existe bien un film intitulé Sky raiders (évoqué p.16), il n’est sorti qu’en 1931 et n’a rien à voir avec The sky raider, où jouait Nungesser. Quant à l’évocation de la « tribu des ‘White Birds’ » p.34, elle pourrait vexer bien des Nez-Percés, tribu dont White Bird était un des plus célèbres chefs. Le dessin souffre lui aussi de quelques défauts de documentation : on voit ainsi un Potez 25 classique, à moteur en ligne, avec son gros radiateur d’eau derrière l’hélice, quand les personnages viennent justement d’expliquer que leur appareil a été spécialement équipé d’un moteur Gnome et Rhône refroidi par air…
Nous voilà donc aux prises avec une promesse douteuse, heureusement non tenue : au lieu d’une théorie discutable, il s’agit d’une évocation historique menée tambour battant. Le récit rythmé et haletant est soutenu par un graphisme réussi et l’ensemble est prenant. Il est du coup d’autant plus dommage que la vérité historique soit parfois sacrifiée sans nécessité et que des erreurs manifestes se soient glissées dans certains passages…
Franck Mée
64 pages, 24 × 32 cm, cartonné
0,668 kg
Avec l’aimable autorisation des © Éditions Paquet