Lorraine, fille de l’air

Plus de 200 ans de passions aéronautiques
Philippe Buron-Pilâtre

La Lorraine aéronautique du XXIe siècle cherche une nouvelle visibilité : ainsi pourrait-on résumer la situation d’une région intimement liée aux tout débuts et à tous les stades de la riche histoire des plus lourds que l’air, mais qui est affectée par la fermeture définitive de nombreux aérodromes emblématiques (après Toul-Rosières et Thionville-Yutz, bientôt Metz-Frescaty) et les difficultés récurrentes de l’aéroport Metz-Nancy Lorraine. Plutôt qu’un livre d’histoire, Lorraine fille de l’Air pourrait apparaître dans ce contexte comme un intéressant « manifeste de propagande » volontariste, n’était le fait qu’il n’est pas tout à fait apolitique, sujet aussi à quelques réserves sur l’incontournable trame historique destinée à faire le lien entre passé glorieux et futur forcément prometteur.

En termes de visibilité médiatique, la Lorraine aéronautique est aujourd’hui essentiellement représentée par le « Lorraine Mondial Air Ballons », le plus grand rassemblement mondial de montgolfières qui se déroule sur l’aérodrome de Chambley-Bussières et dont l’ambassadeur n’est autre que l’auteur de l’ouvrage ici recensé et descendant du premier aérostier, l’illustre messin Jean-François Pilâtre de Rozier. Mais la Lorraine et l’Est de la France en général ne sont plus ces terres de garnisons qui faisaient abondamment vivre les économies locales : au-delà de cette magnifique manifestation d’aérostation, il a bien fallu bien trouver de nouvelles voies industrielles, avec la création en 2008 sur l’ancien terrain désaffecté de Chambley d’un « pôle aéronautique européen », où devrait théoriquement être produit le futur Skylander SK-105. Le livre de Philippe Buron Pilâtre fait l’éloge de ce projet dans un bel et louable élan volontariste, en évoquant notamment le rôle la Région Lorraine. En l’occurrence, précisons ici que le contribuable bienveillant a ainsi avancé à ce jour pour ce projet vingt-et-un millions d’euros (auxquels s’ajouteront soixante autres de l’État si l’industriel GECI arrive enfin à trouver des investisseurs privés — et étrangers ! — pour boucler son plan de financement). Chacun finira d’apprécier selon ses propres « sensibilités » la pertinence d’un financement avec l’argent public (lui-même emprunté moyennant intérêts par des collectivités territoriales et un État considérablement endettés) d’un projet privé, dont les retombées économiques sont plus qu’incertaines malgré toutes les « professions de foi », tel que le présent ouvrage. De façon plus pragmatique, la cinquantaine d’entreprises lorraines qui travaillent pour l’aéronautique gagneront peut-être en visibilité grâce à l’entité également évoquée par Philippe Buron Pilâtre et baptisée le « cluster AERIADES » (soutenu lui aussi par le Conseil Régional de Lorraine), elle-même membre du GIFAS. Toutefois, en ce début de XXIe siècle, étant nous-mêmes Lorrain, nous sommes tout de même en droit de nous demander si cette vision d’une économie dite régionaliste, dans un petit pays comme le nôtre, est encore pertinente dans ce contexte d’Europe endettée et de mondialisation.

Alors que Lorraine fille de l’Air – Plus de 200 ans de passions aéronautiques se laisse a priori imaginer comme un livre d’histoire, il semblerait ainsi plutôt destiné à convaincre le lecteur du bien-fondé de ces derniers choix économiques et industriels. Bien sûr, la majeure partie de l’ouvrage est effectivement consacrée à douze figures célèbres jalonnant l’histoire et les grandes étapes technologiques de l’aéronautique lorraine : Jean-François Pilâtre de Rozier, le colonel Charles Renard, Marie Marvingt, René Dorme, René Fonck, Christian Moench, Thomas Bata, l’astronaute Michael Collins, Chuck Yeager, le sénateur Bernard Parmantier, Jean-François Clervoy et enfin, le portrait du « Lorraine Mondial Air Ballons ». Ne connaissant pas Philippe Buron Pilâtre comme un historien, nous ne nous attendions à rien de particulier sinon au moins à une sorte de « bon résumé » dans ce livre de 168 pages. Pari réussi a minima, car l’auteur a bien puisé dans la riche bibliographie déjà existante, mais avec plus ou moins de bonheur. En effet, au-delà de la légende urbaine apparemment propagée par le livre de Marcel Cordier et Rosalie Maggio, Marie Marvingt, la femme d’un siècle (Pierron, Sarreguemines, 1991) et reprise sans sourciller par une certaine encyclopédie du web, nous aimerions savoir (enfin) sur quelle base l’auteur affirme que Marie Marvingt, aviatrice et casse-cou émérite s’il en fut au demeurant, aurait participé « à des bombardements aériens » et mérité « la Croix de Guerre pour son bombardement d’une base allemande » et de préciser aussi qu’elle « détient la Croix de Guerre 1914-1918 avec palmes » ! Pour vérifier l’authenticité de ces affirmations, il suffit de comprendre que si elles étaient avérés peu ou prou, l’armée de l’Air, attachée à son histoire et à son image d’arme jeune, dynamique et féminisée y compris maintenant dans les escadrons de chasse, n’aurait pas manqué d’en faire une communication institutionnelle adéquate ! (si quelqu’un trouve le texte de les citations accompagnant cette Croix de Guerre et ses différentes palmes, soyez aimable de faire suivre au responsable de l’Aérobibliothèque !) S’agissant de René Fonck, présenté avantageusement comme « le héros vosgien aux 127 victoires », nous lisons avec surprise dans l’avant-propos de l’ouvrage qu’il est « disparu en 1944 » ! Lapsus volontaire (René Fonck a été arrêté en 1944) ou « coquille » ? Sans doute s’agit-il d’une compilation approximative (par ailleurs généralement souvent décousue), en témoigne encore le titre (p.96) « Dorme, Guillaumet, Guynemer et Mermoz s’entraînent à Thionville-Yutz » : va encore pour Mermoz et Guillaumet mais il est peu vraisemblable que Dorme et Guynemer y aient jamais mis les pieds avant leur disparition puisque ce terrain faisait alors partie du Reich du chancelier Bismarck, comme Metz-Frescaty du reste (aspect de l’histoire de la Lorraine qui n’est pas clairement explicité par l’auteur et par conséquent source de confusions). Et si nous ne connaissions pas « Le sénateur volant Bernard Parmantier, l’homme du renouveau de l’aviation légère et sportive » (p.132), que nous importe de savoir ici que « Au-delà de l’aéronautique, [il] a été un militant de talent. N’a-t-il pas avec Jean-Pierre Chevènement, lui-aussi un ancien de la SFIO, été l’un des membres actifs du C.E.R.E.S. [Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste] ? » Voilà qui achève de nous persuader que nous avons affaire avec cet ouvrage à un « manifeste de propagande » plutôt orienté. Hélas, les légendes d’une partie des photographies présentées dans l’ouvrage, confinant parfois à l’indigence, sont elles aussi symptomatiques du traitement pour le moins hâtif réservé à l’aspect historique : ainsi ce biplan Maurice Farman manifestement très mal en point et légendé « Avion au parking à Metz », qui semble en réalité plutôt avoir été abattu ou contraint à l’atterrissage forcé dans les lignes allemandes (la légende originale présente sur la photo, que l’on peut retrouver sur le web, ne dit-elle pas « Im Festungsbereich Metz niedergezwungenes französisches Kampflugzeug *» ?) La légende (p.113) « Une bonne cigarette avant de retourner au combat » où l’on voit un aviateur inconnu allumer une cigarette devant un Potez 540 à peine visible, présente un intérêt aussi limité que celle intitulée « La troupe pose devant un gros bimoteur », lequel bimoteur bien reconnaissable n’a pourtant fait l’objet d’aucune tentative d’identification. Plus ennuyeux encore lorsque l’on connaît les mérites de l’aérostier et auteur de ce livre, la légende « Dégonflement d’un dirigeable » (p.87) alors qu’il s’agit au minimum d’une « saucisse » de protection antiaérienne, au mieux d’un ballon d’observation, qui n’entrent dans les deux cas pas dans la catégorie des dirigeables capables de se diriger par leurs propres moyens !

Se placer dans la continuité d’un héritage historique, le revendiquer fièrement pour tenter de faire le lien avec le futur, c’est un procédé classique et légitime. Mais de plus en plus de lecteurs avertis reconnaissent sans peine les compilations qui n’ont fait l’objet d’aucun travail historique complémentaire. En l’occurrence, pour promouvoir la Lorraine aéronautique du XXIe siècle, mieux eût valu sans doute concevoir un ouvrage ne se réclamant pas essentiellement d’un glorieux passé mais mettant plutôt en valeur les industriels qui œuvrent déjà au quotidien, leurs technologies, leur savoir-faire, leurs techniciens, etc. (ce qui n’excluait pas de faire quelques rappels ou parallèles historiques valorisants). Naturellement, c’eût été un autre challenge ! « Plus de 200 ans de passions aéronautiques » plutôt succinctes et manifestement orientées… ne nous ont pour tout dire pas passionné.

Georges-Didier Rohrbacher


(160 pages, 19 x 26 cm, broché)

Préface de Gérard Feldzer

* Cette légende évoque un appareil de chasse français contraint à se poser à Metz, appartenant alors à l’empire germanique.

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Éditions Serpenoise

ISBN 978-2-87692-814-5

29 €