Nous sommes à la fin des années 1960. Les lecteurs du journal Tintin découvrent un nouveau pilote : Martin Milan. Pour les amateurs de Tanguy et Laverdure, Buck Danny et autres Dan Cooper, la surprise est au rendez-vous : Martin Milan est civil, bougon, blasé, et on voit plus souvent son blouson et sa tignasse au bar des aéro-clubs que dans les escadrilles de chasse. Il a son propre avion, une machine baptisée le Vieux Pélican qui persiste à voler en dépit des pannes et des pièces perdues, et il le trimballe d’aérodrome métropolitain en piste de brousse sud-américaine, au hasard des clients, livrant des vivres, du matériel agricole et des bagarres.
Je crois avoir vu un jeu de mots de ce style dans un vieil Iznogoud…
Même s’il comptait Charlier parmi ses amis, l’esprit de Godard est plus proche de Goscinny ou Franquin. Les premières histoires de Martin Milan alternent calembours potaches et aventures rocambolesques, où le réalisme est une notion poétiquement ignorée.
Mais Godard est également terrorisé à l’idée de faire toujours la même chose. Rapidement, il commence donc à varier les plaisirs et à aborder des thèmes divers : réintroduction des lions apprivoisés, misère des autochtones des Nouvelles-Hébrides* à l’Amazonie, amours oubliées, ainsi que politiciens véreux, policiers sadiques et journalistes sans scrupules. Au passage, il lui arrive de tourner résolument le dos à ses fariboles initiales pour s’offrir quelques planches de pure tragédie — car les aviateurs, parfois, tombent aussi…
Le graphisme, typique de l’école humoristique franco-belge, peut rappeler Peyo, Tabary ou Salvérius, avec ses gros nez, ses personnages déformés et ses expressions caricaturales. La mise en couleurs correspond également aux standards de l’époque, avec des aplats un peu datés et des fonds unis aux teintes parfois étonnantes. Mais, çà et là, Godard se permet un cadrage plus inhabituel, une mise en page plus dynamique ou une planche plus onirique.
Contre toute attente, le Vieux Pélican ne tombe en panne que quand le scénario l’exige.
Le résultat est une série originale, qui n’a connu qu’un succès modeste mais qui a aussi marqué ses fans. Difficile à classer, elle a été maltraitée par l’édition : les albums originaux, publiés au Lombard, ont délaissé certains épisodes et en ont réuni d’autres dessinés à des époques différentes. Puis la série est passée chez Dargaud, qui a alterné inédits et rééditions dans le désordre. Enfin, Godard en a publié lui-même au Vaisseau d’argent, avant que la faillite de sa maison d’édition ne renvoie Martin Milan au fonds Dargaud.
C’est donc une excellente chose que Le Lombard propose désormais cette intégrale, qui devrait compter quatre tomes. Cela permet enfin de consulter les aventures de Martin Milan dans l’ordre de leur création, pour mieux saisir l’évolution du trait et de la narration de Christian Godard. Chaque volume est ouvert par un dossier de Patrick Gaumer, nourri de nombreux documents d’époque, plutôt réussi lorsqu’il s’agit de présenter l’auteur, un peu moins inspiré dans les descriptions des aventures du personnage.
La réalisation, enfin, répond aux standards des intégrales actuelles, avec une reliure cartonnée d’allure assez robuste et une impression correcte sur un papier plutôt ordinaire.
Le bar de l’aéro-club, l’endroit où les pilotes racontent leurs aventures incroyables et presque authentiques.
Si vous aimez les séries atypiques, où l’aéronautique est un cadre plutôt qu’un sujet central et où les personnages s’éloignent des boy-scouts de service à la Danny et Tanguy, si vous goûtez les jeux de mots bas de plafond dans des histoires au fond parfois dramatiques, et si vous appréciez le dessin franco-belge traditionnel, cette intégrale Martin Milan trouvera aisément sa place dans votre bibliothèque.
* Actuel Vanuatu.
Franck Mée
24 x 32 cm, relié couverture cartonnée
Avec l’aimable autorisation des © Éditions Le Lombard
Avec l’aimable autorisation des © Éditions Le Lombard
Avec l’aimable autorisation des © Éditions Le Lombard