Voilà une biographie qui commence mal, dès la couverture : une belle photo de Maurice Boyau, à l’envers ! On se dit tout de suite que si le texte est du même tonneau que le soin apporté à l’iconographie, on aura perdu une quinzaine d’euros … Heureusement, il n’en est rien et disons tout de suite que cet ouvrage remplit bien sa mission : sortir de l’ombre le cinquième as de la chasse française, titulaire de 35 victoires dont 20 ballons. Si le Lieutenant Boyau reste méconnu pour ses exploits aéronautiques, il est largement plus populaire avant-guerre du fait de ses exploits sportifs de rugbyman. Il est muté en 1916 à la fameuse « escadrille des sportifs », la 77 du Capitaine de l’Hermitte, où il côtoie d’autres rugbymen tels Mouronval et Felloneau, ou encore le nageur Decoin. Il y passera toute sa carrière d’aviateur, avant de disparaître au combat, le 16 septembre 1918.
Au cours de 300 pages, l’auteur ne se contente pas de dérouler les missions aériennes, les victoires, les combats, les déplacements au front de Boyau, mais il entremêle intelligemment « sa guerre » et le sport de compétition qui garde ses droits. Ainsi Boyau demeure à la fois le capitaine de l’Équipe de France et du Racing club de France, tout en se spécialisant dans la destruction des Drachen d’observation. Difficile de dire si une de ses deux « activités » prime sur l’autre, tellement Boyau met-il autant d’engouement et de professionnalisme à mener à bien ses combats sportifs et aériens. Les passages relatant ses matches, ses efforts pour organiser des rencontres militaires sont détaillés et vivants, autant que la relation de ses vols. Au final, cette biographie réussie est aussi une vision du sport au début du siècle dernier, et plus encore des relations étroites entre sportifs et militaires, sportifs et aviateurs plus exactement. Jacques Mortane, le journaliste qui popularise les exploits des aviateurs, n’était-il pas auparavant journaliste sportif ? Le journal sportif « La vie au grand air », en particulier, n’a-t-il pas largement participé à popularisation de l’aviation et à la glorification du personnage du pilote ? Et Foch n’avait-il pas déclaré, de manière bien audacieuse, en 1910 « L’aviation, c’est du sport et pour l’armée, l’avion c’est zéro ! » ? On voit donc bien que les relations entre sport et aviation sont profondes et anciennes, et cette biographie de Boyau en est une belle illustration. Le « pilote rugbyman » n’est pas d’extraction noble comme un certain nombre de chasseurs qui peuvent se revendiquer d’une longue lignée guerrière au service du pays : son courage, sa résistance physique, son patriotisme, Boyau les a indéniablement développés et entretenus dès le temps de paix, sur les terrains de rugby, avec ses camarades.
Cette biographie présente enfin toutes les garanties de sérieux quant aux sources primaires consultées (archives militaires et civiles, souvent citées en note de bas de page), ou encore grâce aux huit pages d’index de personnes et lieux qui terminent l’ouvrage. Quelques détails négatifs, outre la bourde de la couverture, sont toutefois à relever : le patronyme d’un de ses camarades de la 77, le Lieutenant Joseph Batlle, ne doit pas s’orthographier comme la « battle » britannique (erreur courante) ; en 1918, ce sont des « escadres de combat » et non des « escadres de chasse » qui sont constituées ; l’insigne de l’Escadrille 77 n’est pas un simple « triangle azur à une croix pattée d’or », mais bien un « fanion azur à une croix potencée d’or », un rappel de la croix de Jérusalem, symbole choisi le prédicateur Pierre-L’Ermite, au Xe siècle, illustre ancêtre du premier commandant d’escadrille. On notera enfin la mauvaise qualité de toutes les photos qui émaillent l’ouvrage en matière de netteté et de contraste, le type de papier utilisé ne se prêtant vraiment pas à la reproduction. En conclusion et malgré ces défauts mineurs, on peut sans restriction dire que Jean-Marc Binot a fait œuvre utile, originale et convaincante avec cette biographie d’un as injustement oublié.
Bernard Palmieri
224 pages, 15 x 22 cm, broché
0,322 kg