Regards croisés : deux regards différents pour un même ouvrage.
– Le commentaire de Thierry Le Roy
– Le commentaire de Philippe Ballarini
Maurice Noguès est présent dès les débuts de l’aviation en 1909. Engagé volontairement en 1914, il est, quatre ans plus tard, un chef d’escadrille respecté et l’un des rares survivants de sa génération de pilotes. Devenu le fondateur des lignes aériennes d’Extrême-Orient, il meurt en 1934 dans l’accident du Dewoitine 332 Émeraude dont il est le passager.
Sans nul doute, un tel homme mérite une biographie détaillée. Celle-ci fait plus de six cents pages, ce qui est un peu trop. Certaines longueurs (surtout en fin d’ouvrage) auraient pu être évitées. Mais je ne suis pas totalement objectif. Car si Bernard Marck ne l’avait pas faite, je l’aurais certainement écrite d’ici peu … mais d’une autre manière : question de style pour l’essentiel. Car Marck rédige ses ouvrages à la façon d’un romancier. Son texte est agréable et dynamique, et c’est ce qui fait son succès, mais le lecteur ne fait pas toujours la différence entre l’affirmation historique et ce qui relève de sa liberté d’auteur. D’autant que la documentation n’a pas été « élaguée » et que les notes (en fin de chapitres) sont réduites à la portion congrue pour ne pas alourdir encore l’ouvrage. Depuis le livre de Magdeleine Noguès, sa veuve, en 1937, le nom du pilote n’a jamais vraiment disparu des publications consacrées à l’histoire de l’aviation française. Or, l’auteur a tout réinvesti, apportant en outre des sources familiales bienvenues. Mais quelques ouvrages cités en références n’en sont pas de mon point de vue. Je pense aussi la question de l’oubli relatif de Noguès aurait mérité d’être creusée. Bernard Marck constate et s’interroge, apporte quelques éléments de réponses, mais ne prend pas position. Or, ce seul point aurait mérité une véritable étude. On peut regretter aussi l’absence totale d’illustration. La seule carte est sur la couverture et fort peu lisible.
Malgré ces quelques réserves, nul doute que le livre mérite d’être connu. J’adresse donc ici un grand « merci » à l’auteur d’avoir remis Maurice Noguès en lumière (fut-elle ténue). Il est dommage en effet, qu’encore une fois, le sujet n’ait pas fait davantage réagir la presse, notamment régionale bretonne, toujours mutique dès lors qu’il s’agit d’histoire de l’aviation.
Thierry Le Roy
Bernard Marck n’a pas tort : une foultitude de plumes et de claviers — et non des moindres — ont « loué jusqu’au sublime la Geste des aviateurs de la Ligne France-Amérique du Sud », quand si peu a été publié sur les défricheurs — tout aussi méritoires — de « l’autre Ligne ». C’est ainsi qu’est souvent négligée des historiens celle qui finirait par mener vers l’Orient, commençant par les villes les plus accessibles, celles desservies par la Franco-Roumaine, finissant par des destinations aux accents exotiques : Damas, Bagdad, Calcutta, Bangkok, Saïgon. Et si les noms de Mermoz, Guillaumet, Saint-Exupéry sont connus de tous, celui de Maurice Noguès, bâtisseur de la ligne Air-Orient, est demeuré dans la pénombre.
Il serait vain de tenter de résumer en quelques lignes ce que l’auteur a narré en plus de 600 pages, des premiers vols de l’enfant de bonne famille fortuné — qui revend sa Rolls-Royce pour un Voisin 50 ch qu’il brise à son premier vol solo — jusqu’à sa mort dans la tragédie du Dewoitine D.332 Émeraude dont Bernard Marck relève les aspects plus ou moins mystérieux.
En tout cas, la plume fluide que nous connaissons à l’auteur l’amène à nous proposer une longue biographie qui se lit comme un roman… qu’elle n’est pas. Depuis bien des années, Bernard Marck excelle dans un genre où il semble le seul à être présent ; on le définirait volontiers comme « historien-conteur »; historien par l’évident travail de recherche, conteur par le talent qu’il manifeste à capter l’attention du lecteur. Vraisemblablement pour mieux rythmer son ouvrage, l’auteur s’est livré à un étonnant découpage en 110 courts chapitres d’une moyenne de cinq à six pages. Cela donne du « nerf » à l’ouvrage, et surtout permet au lecteur de faire plus facilement les pauses nécessaires dans la lecture d’un livre aussi conséquent. Les annexes sont constituées d’une copieuse bibliographie et d’un index comportant plus de 400 noms. Peut-être aurions-nous aimé y trouver quelques cartes.
Bernard Marck, éternel enthousiaste, toujours prompt à faire partager son émerveillement, nous livre ici une biographie qui n’a rien à envier à ses précédentes. Désormais, méconnaître Maurice Noguès serait, pour un amateur d’histoire de l’aviation, pire qu’une erreur : une carence notoire.
Philippe Ballarini
652 pages, 13,5 x 21 cm, couverture souple
0,670 kg