Hiroshima a quatre cents ans, mais Hiroshima a également soixante ans. Hiroshima est morte le 6 août 1945 — c’est pour cela qu’elle est connue, au point que, lorsqu’on la recherche sur Google, celui-ci nous propose directement la page « Bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki ». Mais Hiroshima est une ville jeune, vivante, née dans les années 50. Hiroshima est une ville reconstruite, certains emblèmes étant rebâtis à l’identique tandis que les autres bâtiments se tournaient résolument vers l’avenir. Hiroshima est une ville paradoxale, où le visiteur venu se recueillir sur un lieu dévasté peut trouver un vie grouillante à toute heure du jour ou de la nuit mais où celui venu voir une ville japonaise moderne peut encore tomber sur des hibakusha ou leurs descendants directs, qui expliquent inlassablement le drame aux touristes.
Hiroshima est aussi un sujet d’études inépuisable pour les géopoliticiens, les sociologues et les historiens. C’est à cette catégorie des chercheurs universitaires qu’appartient Barthélémy Courmont, docteur ès sciences politiques ayant fait sa thèse sur le sujet. Et Mémoires d’un champignon touche à tous les aspects, évoquant tour à tour les survivants et l’organisation des secours dans les jours suivant le bombardement, les dégâts immédiats, la reconstruction d’Hiroshima ainsi que le contraste avec l’île de Miyajima, située en face et restée préservée ; il évoque aussi les prémices de la Guerre froide déjà sensibles en 1945, les hésitations des chercheurs atomistes (en particulier après la chute de l’Allemagne), le choix même de Truman d’utiliser la bombe A, l’impact de celle-ci sur le Japon d’après-guerre et le boom économique qu’a connu le pays dès les années 60. Il évoque, enfin, la question des gens, de leur propre capacité à encaisser et à avancer, de ceux pour qui la ville restera à jamais martyre, de ceux qui relativisent ou nient l’importance de l’événement, de ceux pour qui le bombardement excuse toutes les exactions de l’armée japonaise comme de ceux pour qui elle n’est que le prolongement d’une guerre née dans les massacres de Nankin.
Et tout cela est, surtout, une plongée dans le parcours de l’auteur, avec ses découvertes et ses réflexions, de l’étudiant qui remporte un peu par hasard un voyage de deux semaines au Japon jusqu’au doctorant obsédé qui se consacre corps et âme aux questions spécifiques de la bombe et de la ville.
L’ouvrage est bref, parfois un peu désorganisé (il suit le fil des pensées de l’auteur bien plus qu’un plan thématique), et écrit de la plume d’un universitaire : plutôt factuel et sobre en émotions. Il est permis de regretter une relecture de toute évidence un peu rapide, les fautes orthographiques et syntaxiques étant encore bien présentes, mais le sujet est intéressant et ce survol des mille aspects d’Hiroshima peut être une base qui amènera les plus curieux à creuser leur propre réflexion.
Mémoires d’un champignon sort évidemment du cadre habituel de l’Aérobibliothèque : ce n’est pas un traité d’histoire et encore moins un ouvrage d’aviation. Il propose un regard totalement différent sur ce sujet déjà maintes fois évoqué dans nos colonnes : le point de vue d’un simple chercheur qui découvre et explore les multiples facettes de l’événement et de la ville elle-même. Pour certains, il s’agira d’un fourre-tout mal cadré qui manque de creuser ses multiples sujets ; pour d’autres, ce sera le tour d’horizon qui leur fera prendre conscience de la complexité inévitable de toute réflexion sur Hiroshima, et peut-être une porte d’entrée vers des lectures plus poussées.
Franck Mée
224 pages, 11,5 x 16,5 cm, broché
0,188 kg
– Une interview de l’auteur à propos de « Mémoires d’un champignon » sur le site de l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques)