Que voilà un titre alléchant ! Avant même d’ouvrir le livre on se sent prêt à le ranger par la suite sur un rayonnage de la bibliothèque aéronautique consacré aux autobiographies marquantes de femmes pilotes, avec par exemple Beryl Markham, Anne Morrow-Lindbergh, Hanna Reitsh, les deux Jacqueline, Auriol et Cochran ou même Nadine Vaujour…
Á la lecture, c’est un peu différent. Les mémoires en question ne portent que sur une période assez courte, de décembre 2007 à octobre 2010. Du coup, on ne peut s’empêcher de penser à la mode actuelle qui nous gratifie des livres de souvenirs signés par des stars de trente ans au sommet de leur gloire. Mais après tout, rien ne l’interdit.
Au niveau du contenu, il s’agit de la relation de quelques vols dans un aéro-club, réalisés comme pilote ou comme passagère, avec une double particularité, celle de se dérouler la plupart du temps au Luxembourg et celle de la vision féminine des événements, puisque l’auteur a choisi d’appliquer fréquemment ce filtre. Nous reviendrons sur ce dernier point.
Le Luxembourg, c’est important d’une part à cause de la petite taille du Grand-Duché, enserré entre la France, l’Allemagne et la Belgique, ce qui permet aux pilotes, en évoluant dans cet environnement très international, d’aller voir du pays, au sens propre, dès qu’ils s’éloignent du tour de piste. Mais aussi à cause de ce que nous mettrons sur le compte du multi-linguisme local, qui nous donne un texte truffé d’anglicismes, heureusement présentés en italique. Ceci peut dérouter un pilote français, pourtant déjà habitué à la présence de pas mal de termes anglo-saxons dans son environnement aéronautique, mais qui sera surpris que cela aille jusqu’à lire du « go-around » , du « holding point », du « weight and balance », du « flare », etc. là où la plupart des francophones parlent de remise de gaz, de point d’attente, de calcul de masses et centrage, d’arrondi, et tout à l’avenant. Mais l’auteur s’en excuse en tête d’un glossaire de 23 pages rendu de ce fait nécessaire, et qui clôture l’ouvrage
Dans le domaine des choses surprenantes pour ce qui concerne le vocabulaire, on trouve en particulier ce vol du 12 décembre 2007 sur lequel s’ouvre le livre, dont la rédaction comporte seize fois l’interjection « merde ! » en l’espace de six pages. Certes, cela doit servir à évoquer la panique de la pilote égarée, mais le procédé laisse perplexe. Heureusement cela se calme dans les chapitres suivants, les mots grossiers y sont moins fréquents à défaut d’être absents.
Bien sûr, certains pourraient regretter que l’attrait des vols soit discutable pour la tierce personne qu’est le lecteur, même s’ils ont pu être passionnants en leur temps pour la rédactrice. Un peu comme si une conductrice relativement novice nous racontait ses trois dernières années de conduite, les trajets effectués, l’auto utilisée, ce qu’elle a rentré dans son GPS, les personnes emmenées, si elles ont été malades ou non, le temps qu’il faisait, les ailes cabossées sur un parking, les fois où le moteur ne démarrait pas, les portières récalcitrantes, les coups de téléphones passés pour préparer les trajets, les SMS envoyés pour les confirmer, les boissons consommées lors des arrêts, les pause-pipi, etc.
Mais c’est peut-être l’avantage, ça change de l’ordinaire des récits d’aviation. De plus ça permet de relativiser la vision que chacun peut avoir de sa propre pratique, les choses étant pour une fois vues par d’autres yeux.
Surtout, en l’occurrence, par des yeux féminins, et l’auteur insiste sur ce point. Nous percevons notamment son importante sensibilité, quand elle se sent en bute à un environnement très masculin et parfois macho, regrettant de ne pas jouir d’un statut différent.
Dans son introduction, Annie Loschetter souhaite par son témoignage encourager d’autres femmes à se mettre au pilotage. Espérons qu’elle saura trouver son lectorat et que ses lectrices, voire ses lecteurs, seront sensibles à son texte. C’est possible ; j’aime bien pour ma part le paragraphe sur la traversée de l’arc-en-ciel, on ne se refait pas, ou les photos présentées en un livret central. Il ne faudrait toutefois pas que l’apprentie-pilote soit effrayée par les récits de perte d’orientation en vol ou d’accrochage au sol de panneaux de signalisation, ou rebutées par un texte truffé d’anglicismes, de termes techniques ou tenant du jargon d’aéro-club.
Pour ma part, en tant qu’instructeur, c’est avec plaisir que je garderai ce témoignage dans un coin de ma bibliothèque, même si ce n’est pas forcément dans le rayonnage initialement envisagé.
Jean-Noël Violette
272 pages, 17 x 24 cm, broché