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Merville-Calonne

Collectif

Tout en maintenant son ambition à couvrir de ses recherches l’ensemble du territoire français, l’association Aérodromes Anciens* confirme son ancrage « nordiste » par ce deuxième ouvrage consacré à l’aérodrome de Merville ; disons-le tout de suite, il est bien mieux réussi que son prédécesseur !

L’aviation fait irruption dans les environs de Merville lors de la Première Guerre Mondiale, quand deux aérodromes sont aménagés près du Front par le Royal Flying Corps, le long de la Lys, terrains dont il ne reste bien entendu aucune trace aujourd’hui.
Il faut ensuite attendre la fin des années trente pour que la décision de construire un nouvelle plate-forme d’opérations ici soit prise, une parmi un grand nombre qui vont apparaître au Nord de la Seine, dans le sillage du célèbre « Plan V » de réarmement de 1935 et en profitant d’une législation qui permet d’accélérer les réquisitions de terres agricoles, comme le rappelle un encart très bien venu. Une fois de plus dans ce domaine, les auteurs se sont trouvés confrontés à la rareté des sources encore existantes pour pouvoir préciser les détails des travaux d’aménagement, mais l’aérodrome peut recevoir à l’automne 1939 des unités britanniques, dans des conditions cependant assez précaires pour qu’elles ne séjournent que peu de temps ici avant de se déplacer vers un lieu mieux aménagé.
Comme déjà au printemps 1918, la RAF va devoir céder la place aux forces aériennes allemandes, mais cette fois pour un temps malheureusement plus long. Même si cette période semble intéresser particulièrement les membres de l’association, il faut reconnaître que la place qui lui est consacrée ici reflète bien la marque durable que va laisser cette occupation de quatre années. Au-delà de l’histoire de l’aérodrome lui-même, le lecteur y trouvera de nombreuses informations d’ordre plus général sur la présence de Luftwaffe dans notre pays, dont on se rend compte ne pas connaître beaucoup de choses en dehors des lieux et périodes de stationnement des unités; un grand travail de synthèse sur le sujet manque toujours à la bibliographie aéronautique !
On est en particulier surpris de constater combien ces importants aménagements réalisés après l’été 1941 serviront peu (jusqu’à 3000 personnes y travailleront); peut-être faut-il y voir un pari de l’état-major allemand qui espère pouvoir se retourner vers la Grande-Bretagne après avoir anéanti l’Union Soviétique ? On sait que l’Histoire en décidera autrement et la plate-forme semble s’endormir jusqu’au retour des Britanniques qui ne font que passer pour peu de temps au cours de l’été 1944 dans leur marche vers la Belgique et le cours inférieur du Rhin, laissant la place à leur alliés américains qui vont y installer un vaste dépôt aéronautique.

Une fois la paix revenue en Europe, l’aérodrome de Merville-Calonne aurait pu connaître le sort de bien des anciennes bases allemandes dans notre pays, dont les aménagements importants disparaîtront petit à petit du paysage, mais il est retenu au début des années cinquante par les responsables de l’OTAN récemment créée pour devenir un de ces nombreux terrains qui doivent permettre aux forces alliées de disperser les appareils en cas de conflit ouvert avec le bloc de l’Est. Si l’histoire des aérodromes affectés à l’USAF en Europe est aujourd’hui assez bien connue grâce à plusieurs excellents ouvrages récents, celle des autres terrains de l’OTAN l’est beaucoup moins, mais il semble bien que la plate-forme n’ait jamais été utilisée, même de manière très temporaire… on notera que l’historien Olivier Pottier mentionne qu’il faut attendre 1958 pour voir le terrain de Merville faire partie d’un groupe de bases pouvant être éventuellement utilisées par les Américains.

Paradoxalement, le départ de la France du commandement intégré de l’OTAN est une chance pour l’aérodrome qui a vu depuis 1962 son activité civile croître grâce à la création de l’Institut Aéronautique Amaury de la Grange. Alors que les forces alliées quittent la France, Air France se rend compte que ses besoins en pilotes pour les années à venir ne pourront pas être satisfaits par les seuls moyens nationaux du SFACT, malgré l’ouverture prochaine du nouveau centre-école de Montpellier-Fréjorgues, et une nouvelle filière de formation doit crée, qui est confiée à l’IAAG, ce qui nécessite de rénover entièrement les infrastructures. Ces stages « F » ne dureront qu’un temps, mais l’IAAG renouera ses liens avec la compagnie nationale pour la formation de base de ses mécaniciens navigants reconvertis en pilotes, puis celle d’une partie de ses jeunes pilotes ab-initio dans les années quatre-vingt. La plate-forme semble aujourd’hui avoir acquis une certaine pérennité grâce à cette activité, sans oublier bien sûr celle des aéro-clubs qui y sont basés.

C’est donc une histoire riche malgré une série de « faux départs » qui nous est contée ici, illustrée de nombreuses photographies intéressantes, qu’on aurait aimé parfois plus grandes. Par ailleurs, quelques plans plus précis des différents états de la plate-forme, ainsi qu’une étude plus complète des installations existantes ou disparues, auraient été les bienvenus. Remarque de spécialiste nous dira-t-on ; certes, mais c’est un signe parmi d’autres de la difficulté à laquelle doivent faire face les responsables de l’association, certainement tiraillés entre le souci de toucher un public non spécialiste d’une part – d’autant qu’ils ont reçu le soutien de collectivités locales pour la réalisation de cette monographie, et une ambition de former une sorte de référence dans le domaine de l’histoire des aérodromes français, ambition avec laquelle l’ouvrage ne nous paraît pas encore tout à fait en phase, malgré ses qualités.

Au final, notre plus grande réserve concerne un point que nous avions abordé de manière quelque peu ironique à propos du précédent ouvrage consacré à l’histoire de l’aérodrome de Lille-Ronchin, mais qui réapparaît ici d’une manière plus problématique, à savoir l’affaire des prétendues bombes en bois qui auraient été larguées par les Britanniques sur de faux aérodromes aménagés par les Allemands. Qu’on présente un témoignage n’a rien de contestable si on l’accompagne des nécessaires explications, particulièrement nécessaires si l’ouvrage s’adresse à un large public, mais que le texte de ce témoignage soit livré ainsi sans aucun commentaire, laissant accroire qu’on peut le prendre comme argent comptant, est pour le moins discutable, d’autant que le prétendu témoignage mêle récit vécu et ouï-dire : son auteur voit un avion allié « noir à double fuselage » – où est l’humour britannique si c’est un P-38 américain ? – larguer sur le faux terrain des objets, qui pourraient bien n’être que des réservoirs supplémentaires, mais c’est une personne qui le tient d’une autre qui le tient des Allemands (?) que ce sont des bombes en bois ! L’Aérobibliothèque avait écrit en son temps ce qu’elle pensait de l’ouvrage consacré à ce sujet par Pierre-Antoine Courouble que l’on retrouve ici dans l’équipe rédactrice ; disons simplement que paradoxalement, plus ce dernier retrouve de témoignages à travers la France, moins sa théorie tient la route, puisque malgré des événements toujours plus nombreux sensés avoir eu lieu, il n’arrive toujours pas à trouver le moindre aviateur allié pour narrer avoir réalisé une telle opération, et ce malgré les milliers de témoignages publiés depuis près de 70 ans !

Malgré nos quelques réticences, l’initiative de l’association Aérodromes Anciens* mérite d’être encouragée; attendons donc le prochain ouvrage d’une collection pleine de promesses, ouvrage qui gagnera certainement en cohérence en voyant sa rédaction confiée à une seule bonne plume.

Pierre-François Mary


17 x 24 cm, 68 pages, broché
Préface de Daniel Percheron, président du Smalim.


(*) L’association Aérodromes Anciens a été portée sur les fonts baptismaux par Laurent Bailleul dont les ouvrages consacrés aux armes secrètes allemandes installées dans le Nord de la France avaient été remarqués en leur temps. Il y a quelques années, il avait créé un très bon premier site web consacré à l’histoire de nombreux aérodromes pour la plupart situés dans le nord de notre pays, où l’on pouvait y trouver de nombreuses informations inédites à travers une présentant simple mais efficace.

Dans le sillage de la création de l’association, un autre site a vu le jour, dont la présentation beaucoup plus ambitieuse – mais plus lourde à charger – reste largement ouverte au visiteur occasionnel malgré l’existence de certaines pages réservées aux membres de l’association. On y trouve en particulier l’ébauche d’un atlas des aérodromes français, basé sur les informations présentées par le site web initial, mais dont l’état encore embryonnaire pour de nombreux départements montre l’ampleur de tâche, malgré les informations recueillies progressivement auprès de membres ou correspondants répartis sur l’ensemble du territoire national.

On peut se réjouir de l’apparition d’une telle association, mais parmi les pages inaccessibles au simple visiteur, un forum réservé aux seuls membres de l’association est peut-être le symbole d’un point de vue rendu caduc par l’apparition de l’Internet depuis une quinzaine d’années. La législation de 1901 est assez bien adaptée pour encourager légitimement les amateurs d’un même sujet à se rassembler en association, mais les Aéroforums prouvent tous les jours qu’un forum libre d’accès (et sans qu’on aie à inventer un pseudo puéril avant de se présenter pour même poser une simple question …) permet certainement de faire circuler davantage d’informations, dans un domaine de l’histoire aéronautique encore assez peu développé dont les sources peuvent provenir d’horizon inattendus. À vouloir rester entre soi, le risque est grand de se constituer en chapelle d’initiés, travers dont le monde des passionnés d’histoire aéronautique a déjà bien trop pâti par le passé.

PFM

En bref

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