Nous voici avec entre les mains un pur livre de souvenirs. Ceux d’un enfant de la guerre, qui a grandi et est devenu adulte au cœur des « trente glorieuses. Il nous raconte son temps sous les drapeaux à croupir en Afrique, une expédition routière en Algérie via le Maroc et deux séjours aux USA. Mais surtout pour ce qui est de la plus grande partie du livre il nous fait vivre son initiation au parachutisme et sa progression dans cette discipline.
Si son passage à l’armée semble avoir laissé à l’auteur une grande impression de frustration, si son périple nord-africain avec deux copains a une certaine connotation ‘Pieds nickelés », ses voyages en Amérique servent principalement de toile de fond à quelques sauts en parachute sortant un peu de l’ordinaire. Ces épisodes de sa vie ont certainement été vécus à l’époque comme des aventures par Bernard Rost. Il est dommage qu’il ne parvienne pas réellement à nous le faire ressentir au fil de ses récits.
Le côté « chute libre » qui vaut à ce livre de vous être présenté dans l’Aérobibliothèque pourrait certainement être perçu comme très aventureux par le grand public. Mais sa narration pèche elle aussi par l’accumulation d’une trop grande quantité de détails qui ont tendance à occulter cet aspect. La rédaction est peut-être trop inspirée d’un journal qui aurait été tenu à l’époque, à en croire la précision horaire de certains évènements ou l’abondance de détails quant aux lieux, aux tenues portées par les personnages, à leurs discours, voire aux menus choisis… Au milieu de ce décor un peu pesant, la progression en chute est relatée elle aussi par le menu, au risque de se présenter comme une longue litanie de journées de sauts parfois un peu rébarbative. Un mélange d’adrénaline et de morphine en quelque sorte !
Néanmoins, pour soulager le texte d’une partie explicative quant aux lieux visités, aux personnes croisées, aux appareils roulants ou volants empruntés, l’auteur a choisi de nous la présenter sous forme de notes de bas de page. Le bien-fondé d’un tel choix n’est plus à prouver : il améliore la clarté du récit. Encore faut-il ne pas en abuser. Ici elles ont tendance à être nombreuses et longues, très longues. Parfois au point d’occuper sur une double page plus de place que le texte principal de l’action. Pour ce qui est des lieux fréquentés, leur contenu hésite entre le prospectus d’un office de tourisme et un paragraphe wikipédiesque. On ne peut s’empêcher de l’imaginer dit par une voix « off » aux accents d’un Lucien Jeunesse présentant avec lyrisme son escale d’un jour du « Jeu des mille francs » (Nicolas Stoufflet et le « Jeu des mille euros » pour les plus jeunes). Il y a en tout 213 « notes » (dont certaines font double emploi, comme les 20/89, 43/203 et 126/146) pour 336 pages, sachant qu’avec les remerciements, avertissement, préface et autres témoignages, le texte ne commence vraiment qu’à la page 15.
Heureusement pour notre intérêt aéronautique, certaines de ces notes concernent les aéronefs utilisés pour les largages, ou tout du moins évoqués quant il ne s’agit pas d’avions largueurs : Stampe, Tiger-Moth, Noratlas, DC-3, Dragon, Broussard, Storch, Pilatus Porter, Spitfire, Stuka, Skywagon, Hunter, Twin-Otter, Howard DGA-15, voire certains pilotes de renom, Fernand Martignoni ou Bruno Bagnoud. On ne s’attardera pas sur l’invraisemblance de l’utilisation d’un « Fieseler Storch MS-500 » en 1967, l’auteur ayant certainement voulu parler d’un des descendants remotorisés de la version française.
Un autre regret est que Bernard Rost ait choisi, en sous-titre de chacun des chapitres, de résumer en quelques mots les têtes de paragraphe que ce chapitre va contenir. Sur le principe c’est limpide de présentation et ça paraît très efficace. Mais on se rend vite compte que cela annihile tout le charme d’un éventuel suspens, ou tout du moins d’un effet de surprise.
Dans l’ensemble le style est propre, à peine entaché parfois de fautes de temps qui ont dû échapper aux correctrices (p143, 146, 169), d’ incohérences difficiles à suivre dans ses choix de vies américaines ou de quelques contresens « Lorsque le chef propose, tout le monde dispose », « Attiré comme un aimant il s’est littéralement empalé sur ce vieux chêne […]. Pas une égratignure pour le sauteur… »
Enfin, pour ce qui est de l’iconographie, les photos de la collection de l’auteur sont regroupées sur quelques pages centrales. Ces photos pourraient être très intéressantes si elles étaient plus lisibles, ou au minimum un peu plus grosses.
Mon propos vous a peut-être paru un peu dur jusqu’ici. Mais rappelons que ce livre ne s’adresse pas, malgré son titre alléchant, qu’au grand public. Je suis certain que ceux qui ont connu le parachutisme viril et très militarisé des années 60/70 retrouveront avec plaisir la narration d’une progression complète en chute libre ou l’ambiance des clubs. Ils apprécieront en outre la galerie de portraits qui nous est proposée au fil des pages, ne serait-ce que pour retrouver un tel (plutôt) ou une telle (parfois) qu’ils auraient pu eux aussi connaître. C’est également un témoignage pour les plus jeunes parachutistes, afin qu’ils découvrent les difficultés de leurs anciens avec le matériel alors disponible, et apprécient d’autant plus la facilité des voiles actuelles.
Ce livre n’est bien sûr pas à réserver uniquement aux aficionados. Mais ce sont en tous cas surtout eux qu’il devrait contenter.
Jean-Noël Violette
340 pages, broché
Préface du général Paul Aussaresses