Metz la sentinelle

Histoire de la base aérienne 128 Lieutenant-colonel Jean Dagnaux
Collectif

Depuis le plan Armées 2000 et la disparition de l’emblématique FATac (Force Aérienne Tactique), la fermeture de bases telles que Toul-Rosières, Colmar Meyenheim ou Reims Bétheny et la disparition des escadres opérationnelles associées, le sort de Metz-Frescaty semblait inéluctable : trop proche de l’agglomération messine, base d’état-major n’hébergeant que quelques petites unités navigantes depuis des décennies déjà (alors que la plupart des nombreuses unités de l’armée de terre basées à Metz, « première garnison de France », ont été dissoutes ou déplacées) elle n’entrait pas dans le cadre des bases de défense interarmes de ce XXIe siècle. Il est décidément loin le temps de l’armée de l’Air essentiellement concentrée dans l’Est de la France car tournée vers la menace du pacte de Varsovie, celle des 450 avions de combat, où la FATac « desserrait » ses Mirage et Jaguar sur d’anciens terrains OTAN et où, adolescent, je m’aplatissais au seuil de piste à Frescaty, pour voir passer à quelques mètres au-dessus de ma tête et sentir le souffle d’un T-33 de l’EVSV, d’une « Grise de l’EE 54, un « Deux-Six-Deux » de l’ETE 41, un « Trois E » d’Ochey ou un « Trois RD » du 3/33 Moselle basé à Strasbourg…

Ce seuil de piste est proche de l’endroit où se trouvait au début du siècle dernier un gigantesque hangar à Zeppelin : c’est en effet sous le règne du Kaiser Guillaume II que commence l’aventure aéronautique du « Freskaty Fliegerfeld » car la Moselle et l’Alsace font alors partie du IIe Reich allemand. Aux évolutions des impressionnants vaisseaux aériens de Ferdinand Zeppelin, à partir de 1909, succèdent celles des premiers aéroplanes en 1912 : l’importance de Frescaty (et de toute l’imposante région fortifiée messine, qui faisait face aux lignes françaises de Verdun) en fait une cible privilégiée, à commencer pour la toute première mission de bombardement de l’aéronautique militaire française balbutiante, menée peu après la déclaration de guerre d’août 1914 par les caporaux Césari et Prud’hommeau. Le terrain de Frescaty connaît sans doute ses plus riches heures dans l’Entre-deux-guerres, avec l’arrivée de l’aviation française triomphante et surabondante : les régiments d’aviation se succèdent, non sans synergies avec ceux de Thionville-Yutz et Essey-les-Nancy. Bombardé dès le 10 mai 1940 par la Luftwaffe, Frescaty est essentiellement utilisé par le IIIe Reich comme base d’entraînement et de dépôt, ce qui ne l’empêche pas d’être copieusement « arrosé » à plusieurs reprises par les bombardiers lourds américains ou épisodiquement par quelques Britanniques… Après-guerre, dotée d’infrastructures modernes, Frescaty reçoit « son » escadre de chasse, la 9e et ses F-84F, mais accueille aussi les Mystère IV de la 7. La presse locale témoigne régulièrement des accidents aériens – parfois spectaculaires et souvent tragiques – qui émaillent la vie des unités. Après le départ de la dernière unité de chasse, en 1963, Frescaty héberge différentes unités de liaison, de transport, de guerre électronique ou de voilures tournantes.

Ce volume des Éditions Privat constitue davantage un album-souvenir qu’un véritable historique : son format à l’italienne offre des reproductions (de bonne qualité) en pleine page de nombreuses photographies anciennes ou modernes, certes au détriment d’un texte qu’on aurait aimé un peu plus dense, mais il retrace brièvement chacune des grandes périodes de la vie de l’aérodrome et présente quelques faits historiques majeurs : le vol de propagande de plus de 200 avions français en 1933 alors que de l’autre côté du Rhin un certain Hitler vient d’être nommé chancelier, ou encore le Nord 2501 « Gabriel » qui perd une hélice en vol au-dessus de l’autoroute A31, en 1982… Et s’il n’y avait que la base elle-même, nous avons beaucoup apprécié de retrouver mentionnés les lieux ou unités qui lui sont indissolublement liés, tel le fort de Saint-Privat et sa fresque murale dédiée à Jean Mermoz, le magnifique fort de Plappeville (qui servait de Centre d’Instruction du Contingent et qui, une fois la conscription terminée, fut tout simplement abandonné : irrémédiablement devenu une ruine vandalisée et irrécupérable, alors qu’il devait être possible sinon de le reconvertir, du moins le « figer » en attendant des jours peut-être meilleurs) ou le PC guerre du Fort de Guise (dont nous ne connaissons pas le sort). De même, nos souvenirs se ravivent à l’évocation de l’aéro-club des « Ailes Mosellanes » (ou parfois quelques « barons » voyaient d’un œil totalement indifférent de jeunes passionnés) ou de l’aérogare (les Fokker 27 jaunes de la TAT, les passages de Concorde) : les ailes civiles ne sont pas oubliées ! Certes, nous avons bien relevé une ou deux erreurs factuelles (p.15, l’affirmation nous semble un peu présomptueuse selon laquelle le prototype du Dyle et Bacalan 70, de passage à Frescaty en 1933, « avec ses 13 tonnes, […] à fuselage porteur préfigure le futur transport aérien ; le projet ne sera pas retenu par le haut commandement » – p.36 une photo aérienne dont la légende situe le bombardement de la Luftwaffe en avril au lieu de mai 1940 – p.40 ce sont bien des P-47 du 356th Fighter Group et non des P-38 qui ont été détruits par la Jagdgeschwader 53 lors de l’opération Bodenplatte, au petit matin du 1er janvier 1945) mais qui ne nuisant pas à la qualité générale de l’ensemble : agréablement mis en page, cet ouvrage est bien le minimum vital, indispensable pour qui a connu de près ou de loin Metz-Frescaty et que nous vous recommandons chaleureusement en attendant un futur historique détaillé que nous appelons de nos vœux.

Plus aucun gendarme de l’Air ne m’interpellera autour du terrain de Frescaty, comme ce jour où, la jeunesse excusant beaucoup de choses, je tentais avec une paire de jumelles d’y discerner un improbable (déjà) avion de combat de passage à l’escale aérienne… Quant à son avenir, le colonel Olivier Bertrand a beau écrire dans la préface « la base s’offre à son environnement pour une troisième vie, à n’en pas douter non moins riche », cet avenir reste plus qu’incertain (ferme photovoltaïque, comme à Toul-Rosières ? ), la « dépollution » du site n’étant pas un des moindres problèmes. Qui sait si, à l’occasion de futurs excavations et travaux, la légende urbaine d’avions allemands enfouis lors la Seconde Guerre mondiale refera-t-elle surface, à moins que ce ne soient quelques projectiles comme des bombes US… la riche histoire de Metz-Frescaty « la sentinelle » n’est peut-être pas tout à fait close !

Georges-Didier Rohrbacher


144 pages, 30 x 24 cm, relié
– Sous la direction du colonel Olivier Bertrand


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Éditions Privat

ISBN 978-2-7089-9241-2

32 €