Nous présentons nos excuses à Michel Koeniguer, Franck Mée et à nos lecteurs pour l’important retard avec lequel nous publions cette interview.
Michel Kœniguer vient de publier le tome 2 de Misty Mission, une série militaire sur la guerre du Vietnam. Nous avons profité du meeting de la Ferté-Alais pour le rencontrer. Véritable passionné d’histoire militaire, il en parle en fait bien plus que de ses œuvres, de dessin ou d’écriture !
Franck Mée : À l’Aérobibliothèque, on vous connaît surtout pour Bombroad et Misty Mission, vos dernières séries. Vous avez fait quoi avant ?
Michel Kœniguer : Avant, j’ai surtout fait du polar (Bushido et Brooklyn 62nd, NdlR), ainsi qu’un one-shot sur la guerre en Irak, The bridge. Ça se passe chez les Marines du 1st Battalion, les mêmes qui sont présentés dans la série télé Generation Kill. J’ai toujours été dessinateur et scénariste.
FM : Vos deux dernières histoires se déroulent pendant la guerre du Vietnam. C’est une période qui vous passionne particulièrement ?
MK : En fait, je suis surtout passionné d’histoire militaire. Dans les années 80, j’étais un collectionneur de militaria : à cette époque, l’armée américaine avait des stocks énormes de matériel, on trouvait des équipements de tout type pour une bouchée de pain. Par exemple, on pouvait trouver un ensemble pantalon + veste pour cinquante francs ! (NdlR : environ 20 €, inflation comprise.)
FM : Ça coûtait moins cher qu’un pantalon chez Décathlon en fait
MK : Presque, oui ! Du coup je collectionnais des équipements et j’avais beaucoup de documentation sur l’époque. À 17-18 ans, j’étais à fond. Je collectionnais les tenues, si j’avais pu construire un bunker et vivre dedans, je l’aurais fait ! Je m’intéressais à tout, mais j’avais un faible pour le F-4 après avoir dévoré les mémoires de John Trotti, Phantom over Vietnam. D’où le choix du sujet pour Bombroad. À la base, je voulais vraiment faire quelque chose de réaliste, et j’ai une fois rencontré quelqu’un qui avait vécu au Vietnam qui m’a dit qu’il avait reconnu les endroits que j’avais dessinés, mais j’avais juste fait ça à partir de Polaroid scannés ! Mais en fait, techniquement, j’étais à la ramasse, et j’ai dû beaucoup étudier et reprendre pas mal de choses…
Après, j’aime bien les histoires un peu oubliées, et c’est pour ça que je me suis intéressé aux Misty. Une petite unité, pas très connue, des pilotes qui sont montés au front avec un avion pas fait pour…
FM : Oui, le F-100F, biplace d’entraînement au départ, très présent dans le tome 2.
MK : Tout à fait. Donc ils étaient là, avec une machine pas réputée facile, ils faisaient du FAC (Forward Air Control, reconnaissance et guidage de l’appui-feu, NdlR), ils observaient à basse altitude le long de la piste Hô-Chi-Minh. Ils revenaient avec des observations d’une précision surprenante, genre « là y’avait un canon » alors qu’on voyait à peine un petit bout de tube qui dépassait sous les branches. Parfois, ils multipliaient les passages jusqu’à débusquer les défenses anti-aériennes, du coup ils revenaient avec beaucoup d’impacts sur les avions, ils se faisaient engueuler parce que ça coûtait cher et que ça immobilisait les appareils, et ils avaient des débriefings interminables ! D’ailleurs, je me suis permis une petite entorse : pour le Commando Sabre, on prenait plutôt des pilotes confirmés, vu que les missions étaient très dures. Un jeune tout juste débarqué de son premier tour, comme Nick, n’aurait pas pu y rentrer !
Parfois ils ne pouvaient pas rentrer, ils s’éjectaient où ils pouvaient. Dans l’idéal, ils rejoignaient la mer, mais pas toujours. Je me suis directement inspiré de la réalité pour la mission de secours racontée dans la BD : on déployait des moyens extraordinaires, au sol, en l’air, on perdait des Huey et des Jolly Green Giant et parfois on n’arrivait même pas à ramener les pilotes…
FM : D’ailleurs, c’est une constante chez vous : vous ne présentez pas juste une histoire aérienne, mais l’ensemble des moyens, avec une articulation entre les actions au sol, l’aviation, les hélicoptères…
MK : Oui, en fait je m’intéresse plutôt à l’Histoire avec un grand H, pas juste à l’aviation. Et le Vietnam, c’est une guerre où la relation air-sol s’est énormément développée. Il n’y avait pas des opérations aériennes d’un côté et l’infanterie de l’autre : c’est là qu’on a vraiment commencé à optimiser l’utilisation des JTAC (Joint terminal attack controller, NdlR) au sol pour guider les frappes aériennes, et il y a eu un développement de l’appui-feu plus poussé que pendant les guerres précédentes.
FM : Le tome 2 se termine au début de l’offensive du Tết, quelle sera la suite ?
MK : Dans le tome 3, Josh passe dans les forces spéciales, le MACV-SOC, qui faisaient des opérations « black » au Vietnam, mais aussi au Laos et au Cambodge. Ils ont des histoires pas toujours très glorieuses : pour ce dernier tome de la série, je voulais faire quelque chose de vraiment noir, une ambiance encore plus sombre.
Photo Franck Mée
© Aérobibliothèque
Interview réalisée par Franck Mée pour l’Aérobibliothèque en juin 2017.
Photo du haut : Frédéric Marsaly