Entre Noël 1956 et le Nouvel an 1957, l’attention des médias se porte sur un drame en train de se jouer dans la vallée de Chamonix. Deux jeunes alpinistes, Jean Vincendon et François Henry se sont égarés à 4000 mètres d’altitude. Ils se sont séparés dans la tempête d’une cordée italienne menée par le célèbre guide Walter Bonatti, rencontrée par hasard et avec laquelle ils ont gravi la Brenva, une course menant au sommet du Mont-Blanc par son versant italien.
Devant les interminables tergiversations des diverses entités qui auraient pu leur porter secours, société des guides et écoles de haute montagne, civile et militaire, mais qui ne sont pas organisées pour cela en plein hiver, on décide l’intervention de deux hélicoptères de la base aérienne, relativement proche, du Bourget-du-Lac. Et c’est là que l’ouvrage que Yves Ballu consacre à cette tragédie prend toute sa place sur un rayon de l’Aérobibliothèque. Il s’agit d’une des toutes premières tentatives d’utilisation d’hélicoptères pour du secours en haute montagne en France, mais surtout de la plus marquante car elle se déroule devant de nombreux journalistes et photographes avides de sensationnel. Son retentissement est national, voire international. Le premier essai est un échec, un Sikorsky S58 s’écrase près des jeunes alpinistes, et ce sont désormais huit naufragés qu’il faut essayer de sauver, avec les deux pilotes non préparés à des bivouacs en altitude, et quatre guides qui se sont dévoués pour les secourir.
Il s’agit ici de la seconde édition du livre de Yves Ballu, la première étant parue en 1997, avec un certain retentissement dans le milieu montagnard. Celle-ci est désormais illustrée de plus de 300 photos et documents divers. Le talent de l’auteur est d’avoir reconstitué de nombreux dialogues en travaillant avec les témoins de cette aventure quand c’était encore possible. L’ouvrage se lit donc comme un roman, sans avoir l’impression que le trait a été forcé, sans jamais tomber dans l’excessif ou le caricatural. Et surtout, l’auteur sait s’effacer devant les témoignages qu’il a patiemment recueillis, sans juger des responsabilités et en maintenant une neutralité bienveillante.
Le livre comporte 448 pages, les hélicoptères surviennent au premier tiers, et on ne les quitte plus par la suite, puisqu’un dénouement partiel viendra du ciel. Ce drame sera à l’origine des secours en montagnes modernes, tels que nous les connaissons, avec une articulation forces terrestres et moyens aériens. L’auteur a dû être bien conseillé pour la partie vol, car les limitations dues à l’altitude, à la puissance des machines, au vent et à la visibilité, la comparaison des moteurs à pistons des Sikorsky et des turbines des Alouette, et enfin les actions de pilotage, sont bien expliquées. Il cite également d’autres sauvetages héliportés survenus dès 1954, et présente en détail les protagonistes de l’aventure, en particulier pour nous les pilotes.
Si l’on veut être pointilleux, on notera juste page 38 une idée d’utilisation d’un treuil anachronique d’une dizaine d’années, et quelques variations dans le prénom de Guiron, passant du logique Firmin dans tout l’ouvrage à « Antoine » au chapitre XXII.
Le style est, quant à lui, bien agréable, et on peut par exemple apprécier au passage une jolie allitération « s’entêter jusqu’à la tétanie » qui se marie bien avec le côté tragédie grecque de l’ensemble, ou cette description : « Firmin Guiron est en train de procéder au déblaiement de son aérodrome lorsque, à 13h15, il entend vrombir les huit cent cinquante chevaux d’Éléphant joyeux. La délicatesse avec laquelle l’appareil se pose sur ses quatre roues contraste avec la violence du tourbillon de neige qu’il projette alentour. Le vacarme se calme progressivement tandis que les pales s’immobilisent. »
Un reportage très intéressant, bien entendu pour les montagnards, mais aussi pour qui s’intéresse aux hélicoptères et au secours en montagne, un magnifique roman si ce n’était la perte de deux jeunes gens de 23 et 24 ans…
Un dénouement par ciel…
Jean-Noël Violette
448 pages, 23,5 x 24 cm, relié
1,700 kg