En 2010, nous vous présentions un très bel ouvrage de Bertrand Piccard et André Borschberg Solar-Impulse HB-SIA dont la sortie avait paru un peu prématurée, solaire certes, mais un peu impulsive. Il s’agissait en fait d’un point d’étape, comme un « au revoir » au premier prototype avant que n’entre en jeu le second, celui destiné au trajet circumterrestre proprement dit.
En juillet 2016, voilà, c’est fait, cette belle aventure qu’est le premier tour du Monde en avion solaire énergétiquement autonome s’est terminée. Et quelques mois plus tard, comme ils l’avaient annoncé, Bertrand Piccard, le psychiatre-explorateur, héritier d’une lignée de savants aventuriers, et André Borschberg, l’ancien pilote militaire-lanceur de start-up, sont de retour pour nous en conter le récit. Ils le font dans une narration alternative, prenant la plume tour à tour pour de courts paragraphes qui s’enchaînent tout au long des 360 pages. C’est comme une partie de ping-pong entre le pilote-ingénieur cherchant à ce que la machine réussisse à voler et l’aventurier-conférencier multipliant les croisades pour obtenir un budget, sans cesse en inflation, qui permet ces vols. Un chassé-croisé entre un chasseur et un croisé, en quelque sorte.
Nous découvrons alors que ce fut une affaire de longue haleine, comme un immense compte à rebours de quatorze ans, pendant lequel personne n’a ménagé sa peine. Nous réalisons surtout combien les tensions internes ont été difficiles à apaiser entre les deux hommes, et parfois au delà avec leurs équipes sous pression. En effet, dans une grande honnêteté intellectuelle, sur fond d’avancement du projet et du vol, chacun nous ouvre son cœur et ses pensées, ses états d’âme, ses sentiments et son ressentiment vis-à-vis de l’autre.
Le morceau de choix, en particulier pour les lecteurs de l’Aérobibliothèque, c’est bien entendu le vol, ou plutôt les vols qui se sont succédé, parfois après des attentes interminables, météorologie et diplomatie obligent, ou à cause de réparations s’éternisant. Le récit de ces traversées, de continents et d’océans, est bien agréable, surtout en songeant que tout cela se fit sans consommation d’énergie fossile, ni recharge des batteries. Par contre, les multiples vols extérieurs qui entourent Solar Impulse, dans un premier temps pour la formation de pilote de Bertrand Piccard, puis tout au long du périple, multiples vols d’hélicoptères pour les prises de vue, utilisation d’un Illiouchine 76 cargo pour transporter le hangar gonflable, allers-retours incessants vers la Suisse et Monaco pour échanger des pièces, amener à pied d’œuvre des équipiers ou permettre à nos aventuriers de retrouver leurs proches ou de les faire venir sur le lieu des exploits, réceptions en fanfare (et patrouille acrobatique) par les autorités locales, tout cela parasite un peu le message écologique du projet, et si la non-utilisation d’énergie fossile et l’avenir radieux que cela permet d’espérer ne nous étaient pas inlassablement répétés à longueur d’ouvrage, on risquerait vite de n’y voir qu’un bel exploit aérien.
Le suspense n’en est bien entendu pas vraiment un pour qui aura suivi à l’époque les péripéties du vol ; ce sera peut-être le cas dans plusieurs années quand de plus jeunes découvriront cette aventure comme on peut de nos jours se régaler du récit des exploits d’Alain Bombard ou de Thor Heyerdhal. Dans l’immédiat, cela permet de comprendre tous ces arrêts qui nous ont fait craindre, en direct, pour la suite du périple.
Une partie impressionnante du Gotha fait une apparition au fil des épisodes, directement ou simplement pour un support : Ban Ki-moon, Albert de Monaco, Michael Blomberg, Richard Branson, Al Gore, Marion Cotillard, James Cameron, Larry Page, Olivier de Kersauzon, Buzz Aldrin, Paulo Coelho, Nicolas Hulot, Hubert Reeves, Elie Weisel, Chesley Sullenberger, etc. sans compter nombre de présidents, ministres, ambassadeurs, sultans, cheiks, princes héritiers et reines, ou l’ombre omniprésente de Lindbergh, Neil Armstrong, Gandhi, Mandella et Steve Fossett. Évidemment, le support des grands de ce Monde fut nécessaire pour faciliter le voyage ou pour ouvrir les portes des partenaires financiers, et surtout pour faire circuler le message écolo-technologique porté par cette aventure, et mais ça laisse une impression de rendez-vous mondain, avec ces pages égrenées d’un who’s who.
Le tour du Monde du bel albatros que ses fragiles ailes de géant (72 m) empêchent souvent de se reposer sereinement au sol s’achève sur un peu moins d’animosité entre les deux pilotes que ce que le premier tiers du livre nous avait fait redouter. On réalise que Bertrand Piccard et André Borschberg ont en fait réussi quatre exploits:
– concevoir et faire fabriquer les deux Solar Impulse ;
– faire voler le second autour du Monde ;
– réunir assez de fonds pour cela ;
– arriver à écrire un livre commun.
Et le dernier ne semble pas avoir été le moindre…
En annexe sont données la liste des 200 personnes qui ont travaillé à la réussite du projet et celle des partenaires financiers de l’opération. On trouve aussi en début d’ouvrage un rappel des livres écrits par Bertrand Piccard, liste de laquelle est étrangement absent Solar-Impulse HB-SIA dont nous avons parlé en introduction. En se replaçant en 2010 dans le fil de cet Objectif Soleil, on réalise que le premier livre a surtout du servir de plaquette promotionnelle, lorsque la recherche de capitaux était vitale.
Après cette lecture tout à fait recommandée, il ne nous reste plus qu’à espérer, comme cela fut le cas après le tour du Monde en ballon de Bertrand Piccard et Brian Jones, que les nouveaux héros fassent une tournée de conférences. J’avais assisté à l’une d’elles en 2000, et ce fut passionnant !
Jean-Noël Violette
360 pages, 13,3 x 24 cm, broché
Cahier photos
0,500 kg