Cet ouvrage, écrit par le précédent commandant des Forces aériennes stratégiques (de 2018 à 2021), présente un titre quelque peu trompeur : Loin d’être une simple relation de l’exercice majeur que pratiquent les FAS plusieurs fois par an (1), un chapitre qui n’occupe que 42 pages sur 250, il parcourt tous les aspects de la politique de dissuasion nucléaire sur laquelle s’appuie la défense de notre pays, depuis plus de 50 ans maintenant.
Outre un rappel historique succinct du cheminement politique, militaire et scientifique qui a permis d’ériger la force stratégique nationale, le Général Maigret rappelle quelles sont les conditions sine qua non d’une dissuasion nucléaire, ses exigences techniques et opérationnelles permanentes, la volonté politique qui la met en œuvre, les objectifs qu’elle entend atteindre. L’auteur pousse également sa présentation sur le terrain philosophique dans son chapitre « dissuasion et morale », en appelant, excusez du peu, à Saint Thomas d’Aquin, au Pape François ou encore au Dalaï Lama. Une fois ces bases établies, après une lecture qui demande une certaine attention mais qui ne manque pas d’intérêt, l’auteur présente les moyens français, les choix techniques et opérationnels qui ont été faits, sans commune mesure avec ceux de la Russie et des États-Unis, même si les trois nations appartiennent au club très fermé des États détenteurs de l’arme nucléaire (EDAN).
On passe successivement du Mirage IV au Mirage 2000N pour arriver au Rafale, ou encore du C-135 au Phénix, sans oublier les missiles SSBS du Plateau d’Albion, soulignant à chaque étape les forces et les faiblesses, ainsi que les grands épisodes opérationnels qui ont marqué l’utilisation de ces matériels. On mesure aussi les évolutions radicales de la philosophie d’emploi des FAS.
Alors que les Mirage IVA étaient entièrement voués à une mission de bombardement nucléaire par largage d’une arme à gravitation et après une pénétration en haute altitude, les Rafale biplaces volent le plus bas possible, tirent un missile de croisière supersonique, tout en étant capables de se défendre par leurs missiles air/air. Ces mêmes appareils et leurs équipages pouvaient très bien, quelques jours avant, prendre la permanence opérationnelle dans le cadre de la posture permanente de sécurité en métropole, larguer de l’armement conventionnel en appui de forces au sol, en opération extérieure ou encore, participer à un raid interallié complexe (tel « Hamilton » sur la Syrie, en 2018).
Enfin, et les amateurs d’action s’y reporteront directement, le déroulement d’un Poker est traité par le menu, de la prise d’alerte des équipages jusqu’au tir des armes nucléaires, et sous différents points de vue, que ce soit en vol avec les Rafale, depuis une batterie sol-air Mamba chargée de barrer la route au raid, depuis le COFAS (2) où tout est décidé et suivi.
Six pages de notes, constituant une bibliographie et des références importantes, et cinq pages d’abréviations complètent utilement l’ouvrage ; à noter le beau cahier photographique de douze pages qui illustre agréablement le tout, chose peu courante dans un ouvrage de cette facture (et dans lequel on peut voir (enfin) un ASMPA non floué, comme en couverture …).
La préface signée de Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères et analyste géopolitique toujours éclairé, ne fait que confirmer l’intérêt qu’on peut légitimement porter à cette publication qui remplit là une mission importante : informer clairement le citoyen sur les choix politiques et militaires majeurs qui structurent la politique de défense nationale.
Bernard Palmiéri
– Avec la collaboration du colonel Amaury Colcombet
– Préface d’Hubert Védrine
256 pages, 14 x 20 cm, broché
0,294 kg
-1 – bien que Poker ait été conçu dès les débuts comme un exercice, il est maintenant appelé « opération », du fait de l’importance qu’il revêt dans le cadre de l’affichage international de la politique de dissuasion nationale ; Poker constitue un exercice de mise en œuvre d’une frappe nucléaire aérienne sur l’adversaire et met en lices la totalité de la chaîne de décision, d’exécution et de suivi de l’ordre d’engagement présidentiel.
-2 – Centre d’opérations des FAS, à Taverny