Faut-il encore présenter ces monographies d’histoire locale publiées par les Éditions Alan Sutton, archétypes de tous ces ouvrages abondamment illustrés qui exploitent le créneau populaire du « bon vieux temps jadis », en faisant en particulier largement appel à cette source quasi inépuisable que constituent les milliers de cartes postales commercialisées en France au cours du premier tiers du XXe siècle. Il faut reconnaître à celles-ci un pouvoir évocateur indiscutable et elles représentent souvent, pour cette époque et pour bien des lieux, les seules témoignages photographiques dont nous disposions aujourd’hui, traces précieuses malgré leur qualité généralement assez médiocre, et malgré la difficulté que l’on rencontre à déterminer précisément la date de la prise de vue originale, d’autant que certains de leurs éditeurs n’hésiteront pas à les publier de nombreuses fois – quand ils n’illustreront pas simplement un événement par un cliché bien antérieur*, inconvénient pour l’historien mais qui reste toutefois mineur quand on ne cherche qu’à faire vibrer la corde de la nostalgie à bon marché chez les lecteurs… Il existe par ailleurs un autre avantage à faire appel à ces cartes postales, elles sont libres de droit, avantage considérable si l’on souhaite publier de très nombreuses illustrations dans un ouvrage peu onéreux ! Il suffit de trouver un collectionneur à l’appétit raisonnable, auquel on peut même proposer de réaliser lui-même les légendes, comme c’est le cas semble-t-il dans l’ouvrage qui nous est proposé, consacré à l’aéroport d’Orly et à ses environs. Si l’on ne s’embarrasse pas outre mesure d’une trame chronologique, réussir ainsi à évoquer le passé d’une commune ou d’un lieu de manière représente un exercice faisable, pour peu que l’on puisse faire appel à la générosité des collectivités et entreprises locales pour boucher quelques trous, mais inéluctablement, on laissera des pans entiers du passé dans l’ombre, comme on peut le voir dans le cas qui nous intéresse ici.
L’aérodrome d’Orly, avant même qu’il deviennent le vaste aéroport que nous connaissons, a incontestablement marqué la vie des communes alentour, et l’éditeur a eu la bonne idée d’ouvrir le livre par une sorte d’état des lieux, avant l’apparition des premiers aéroplanes sur le plateau qui domine la Seine. L’auteur des légendes, Jean-Claude Corvisier, s’en sort à peu près correctement – si l’on fait abstraction de son style et des lieux communs qui émaillent son propos, dans une présentation classique de communes que la proximité de Paris est en train d’arracher à la vie agricole ; on y voit un monde disparu certes, mais déjà en sursis avec ses propriétés sur le point d’être loties. Toutefois, on sait rapidement que l’on n’a pas affaire au travail d’un de ces érudits locaux qui connaissent l’histoire de leur ville sur le bout des doigts, mais bien d’un travail de circonstance où l’auteur a simplement profité de la bibliographie existante, en travaillant non pas « mot à mot » mais « image à image », d’où certaines incohérences d’une légende à l’autre.
Malheureusement, la machine se grippe quand on en vient à aborder le chapitre aéronautique, faute de références sur le sujet ; plus exactement, ces références existent – comme cet excellent « Orly base Marine » publié par l’Amicale des anciens marins des aéroports de l’Île de France en 1998, mais il ne faut pas aller les chercher localement, preuve que si l’aérodrome dès sa création ne passe pas inaperçu, il n’a peut-être pas encore sur la vie locale l’influence que l’aéroport a acquise aujourd’hui ; les sources, il aurait donc fallu les trouver ailleurs car, combien de fois faudra-t-il le répéter, l’Histoire aéronautique locale est davantage aéronautique que locale et ne peut être abordée sans une solide connaissance globale de cette Histoire. Le résultat est un assemblage hétéroclite de banalités plus ou moins exactes qui ne font souvent que reprendre la légende des cartes postales présentées, une fois de plus sans toujours être cohérentes d’une page à l’autre. Un exemple est la manière dont l’auteur se perd complètement dans l’évocation de l’activité aérienne des années qui suivent la Première Guerre Mondiale, incapable qu’il est de faire la différence entre l’entraînement des pilotes réservistes et la formation de jeunes pilotes destinés à l’Aéronautique Militaire.
Une information inédite pourrait être l’utilisation temporaire du plateau à la fin de l’hiver 1910 par les pilotes de Port-Aviation alors que leur aérodromes est envahi par les eaux de la Seine, mais faute de détails, le fait nous semble peu probable.
Pour le reste, faute d’illustrations aisément disponibles à bon marché, la période de l’Occupation pratiquement quasi ignorée, d’autant qu’elle ne rentre pas vraiment dans la catégorie « bon vieux temps »… Quant à la dernière partie consacrée au développement de l’aéroport d’Orly après 1945, la très nombreuses documentation à laquelle l’auteur a pu avoir accès lui permet de reprendre un récit moins incohérent, mais une fois de plus en insistant toujours sur le coté bon vieux temps – façon Bécaud, cette fois !
Alors bien sûr, on nous dira que l’auteur n’a pas la prétention d’être un historien — ce que nous contestons pas, inutile de nous écrire pour cela, et que notre point de vue est élitiste, mais le grand public, ce personnage aux contours imprécis, ne mérite-t-il pas mieux que ce travail bâclé pour évoquer l’histoire d’un des lieux aéronautiques les plus fameux de notre pays ? Paradoxalement, c’est peut-être l’amateur d’Histoire aéronautique qui trouvera éventuellement ici quelques photos intéressantes qu’il saura correctement interpréter.
Pierre-François Mary
128 pages, 16,5 x 23,5 cm , broché
(*) ainsi, p 41, la carte postale censée représenter Hubert Latham au cours de la Grande Semaine de Port-Aviation en octobre 1909 est en fait un montage utilisant un cliché pris au printemps de la même année, avant les travaux d’agrandissement des tribunes réalisés pendant l’été…