Podcast : Jusqu’au 30 septembre 2009, écoutez Bernard Marck dans l’émission « La tête au carré » du 1er septembre 2009.
On ne saurait réduire la passion qui anime un pilote privé aux seules trente ou quarante heures de vol qu’il effectue chaque année. Être membre d’un aéro-club, c’est aussi y retrouver des amis partageant une même passion pour les choses de l’air, c’est observer le ciel d’un œil différent – à l’instar du plaisancier, c’est finalement avoir le sentiment de faire partie d’un communauté de pilotes, du jeune débutant au pilote d’essais le plus chevronné, en tachant d’oublier les contraintes financières et réglementaires toujours plus pressantes.
Au cours du XXe siècle, et encore de nos jours, ces aéro-clubs ont su participer au développement de l’aéronautique, représentant même dans certaines régions la seule activité aérienne tangible ; pourtant, malgré des voyages exceptionnels à travers le monde, mais probablement faute d’appareils spectaculaires, l’histoire de la « petite aviation » n’a pas souvent retenu l’attention des historiens, d’où la curiosité avec laquelle nous nous sommes plongés dans l’ouvrage de Bernard Marck.
Seulement voilà… Pourquoi a-t-il voulu à tout prix nous convaincre que ces pilotes amateurs étaient les seuls héritiers légitimes des pionniers, en mesure de préserver l’innocence d’une aviation naissante, « virginité » perdue en succombant aux appels des militaires et des transporteurs commerciaux ? Si un certain nombre de pilotes de ligne ou de pilotes militaires volent effectivement pendant leurs loisirs au sein de diverses associations, peut-on sérieusement écrire que leur motivation est d’échapper à un univers aéronautique fait de « machines sophistiquées (qui) ne se pilotent plus vraiment et (dont) la conduite relève davantage de la gestion d’une console de jeux… » L’auteur ferait bien d’aller se renseigner sur l’art du combat aérien moderne sous facteur de « g » important, ou sur celui de poser une machine de 200 tonnes dans un vent de travers de plus de soixante kilomètres-heure ! Comment explique-t-il que de nombreux aéro-clubs aient autant de difficultés à trouver de nouveaux membres, tandis que les candidats semblent toujours se presser aux portes de l’armée de l’Air et des compagnies aériennes ?
Le livre s’ouvre sur un long préambule consacré à ce l’on appelle communément « Préhistoire de l’aviation », présentée essentiellement comme une suite de pionniers attirés par le vertige du vol, sans autre idée que de s’arracher au sol. C’est un point de vue emprunt d’un lyrisme un peu désuet qui n’est pas sans rappeler le style d’un René Chambe, mais l’auteur oublie un peu trop vite les faits qui ne s’accordent pas avec l’image d’une aviation « légère » en marche vers le succès, n’attendant que l’apparition du moteur. Bien sûr les quelques « hommes volants » dont l’Histoire a pu garder le souvenir – pour autant que celui-ci soit fiable – s’équipent généralement d’un matériel « léger », mais peuvent-ils faire autrement, limités qu’ils sont par leur propre taille ! Peut-on oublier pour autant les rêves de vastes vaisseaux aériens, imaginés dans un but utilitaire et destinés soit au combat, soit aux voyages aériens ? Si les travaux sur cet aspect de l’Histoire de l’aviation sont encore trop rares, ils nous montrent un développement beaucoup plus complexe qu’une simple suite de rêveurs prêts à risquer leur vie accrochés à un de ces engins de fortune dont la description est la plupart du temps extrêmement vague. Comment peut-on écrire encore aujourd’hui que les machines volantes de Vinci « eût-il possédé des matériaux adaptés et ce moteur qu’il pressentait, réunissaient les qualités indispensables au vol » ?
Abordant le XIXe siècle, Bernard Marck rappelle utilement l’existence de certains pionniers comme Cayley ou Nadar, mais certaines de ses affirmations sont parfaitement fantaisistes. Présenter Octave Chanute comme un brillant théoricien, qui doit son succès au « gauchissement » est aux antipodes de la réalité. L’ingénieur américain est avant tout un homme de communication qui n’essaiera que pendant le seul été 1894 ses propres planeurs, tous dépourvus de la moindre commande de vol. Le qualifier « d’oracle que les frères Wright viennent consulter » est vraiment du lyrisme à bon marché ! Et si le rappel de l’activité (on peut même parler d’activisme) de Nadar est le bienvenu, peut-on écrire que la France aéronautique « rayonne » sur le monde entier à la fin du siècle ? C’est oublier un peu vite les très nombreux travaux britanniques, américains et allemands.
Arrivé au début du XXe siècle, l’auteur nous assène à nouveau sa thèse de pionniers « tous pilotes privés » pratiquant une « aviation légère ». Mais que signifie cette notion de pilote privé alors que l’aviation pratique n’existe pas encore ? Et comment l’aviation peut-elle être autre que légère alors le problème de la motorisation est loin d’être réglé et que chaque kilo gagné est précieux ? (le problème est d’ailleurs toujours aussi aigu !) Si l’on a affaire à de simples rêveurs, comment expliquer alors qu’Ader commence par organiser une sorte d’arsenal aéronautique avant même de construire son Avion n° III ? Et pourquoi tous ces prétendus rêveurs créent-ils dès 1908 une association professionnelle de constructeurs, si ils n’ont pas des projets mercantiles ?
Signalons au passage que contrairement à ce qui est écrit, Blériot ne passe pas au monoplan après les vols d’Orville Wright (qui a conçu un biplan !) et à cause d’une rivalité avec Latham : le premier Blériot monoplan date de mars 1907 alors que les Wright ne volent en France qu’en fin 1908 et que Latham ne vient à l’aviation qu’au début 1909… Ce n’est là qu’une des nombreuses « perles » qui émaillent l’ouvrage.
On aurait aimé recommander de passer sur ce très approximatif prologue d’une petite centaine de pages pour rentrer dans le vif du sujet, c’est-à-dire le réel développement d’une aviation de loisirs, ou plutôt « amateur », mais la suite ne nous convainc pas d’avantage…
Bernard Marck évoque les premiers adeptes du tourisme aérien avant même la première guerre mondiale, en oubliant le nombre extrêmement réduit de ceux-ci. En son temps, le regretté Emmanuel Chadeau avait bien montré la rapide déception – dès 1910 – rencontrée par les premiers constructeurs devant le faible développement de l’aviation de loisir, essentiellement pour des raisons financières (mais aussi à cause de la difficulté de pilotage de ces premières machines; on peut remarquer d’ailleurs qu’aujourd’hui encore, malgré les progrès techniques, l’aviation n’est pas devenue ce « sport de masse » que certains imaginaient, le pilote occasionnel ne pouvant pas espérer monter un jour dans son avion comme il prend sa voiture pour aller chercher le pain !).
En passant au véritable départ de l’aviation de loisirs, après la fin de la Première Guerre mondiale, l’auteur brosse un portrait misérabiliste de la situation des aéroclubs dans les années vingt. N’oublie-t-il pas que la France sort d’un effroyable cataclysme économique et humain ? Si quelques associations d’avant-guerre renaissent de leurs cendres, la plupart apparaissent au cours de la décennie dans un contexte difficile mais malgré tout, l’étude des archives nous révèlent des clubs extrêmement actifs avec le peu de moyens dont ils disposent. En se référant à l’exemple de la Seine Inférieure, au-delà d’une petit minorité de pilotes qui représentent à peine le cinquième des effectifs, les quelques centaines de membres d’un club ont le sentiment de participer au développement de l’aviation (en 1929, il existe dans ce département près de quinze appareils privés ; comment l’auteur peut-il en dénombrer à peine trente pour toute la France ?) et le nombre d’heures de vol réalisées ne peut résumer à lui seul l’activité de telles associations : il faut aussi prendre en compte leur action auprès des autorités en faveur du développement d’un aérodrome, d’un Centre d’entraînement des réserves, l’organisation de meeting à travers les campagnes pour vulgariser l’idée aéronautique, etc. À ce sujet, précisons que contrairement à ce qu’écrit l’auteur, Maurice Finat n’abandonne pas l’organisation de tels meetings après la mort de son ami Robin. Sa Société pour le Développement de l’Aviation (ex Société de Propagande Aéronautique – le « politiquement correct » est déjà à l’œuvre…) poursuit son activité jusqu’à sa propre disparition en Afrique en avril 1935.
Il semble que ce tableau pessimiste ne soit que le prétexte d’un violent réquisitoire contre l’Aéro-club de France, coupable aux yeux de l’auteur d’un irrépressible désintérêt à l’égard de l’aviation privée, justifiant – ou plutôt expliquant – la création d’une Fédération Nationale Aéronautique en 1929. L’idée mérite d’être prise en considération, mais on aimerait avoir des faits précis pour étayer cette thèse, autrement plus crédibles que les éditoriaux enflammés de Georges Houard dans la revue « Les Ailes » ! A cette occasion, on mesure combien ce sujet de la presse aéronautique française a été négligée par les historiens français. Curieusement il ne sera presque plus question dans la suite du livre de cette vénérable FNA, devenue depuis FFA.
Bernard Marck aborde ensuite le thème de l’Aviation Populaire, idée – selon lui – imaginée par Jean Mermoz et récupérée par le Ministre de l’Air Pierre Cot en 1936. Nous ne pouvons que conseiller la lecture de l’excellent ouvrage de Vital Ferry qui donnera de ce sujet méconnu une bien meilleure idée que le point de vue développé ici.
Négligeant complètement la période de la Seconde Guerre mondiale (qui pourtant voit la persistance d’une activité vélivole – nous reviendront plus loin sur ce sujet), l’auteur aborde la période contemporaine sous l’angle quasi-exclusif des divers appareils de tourisme développés depuis 1945, mais d’une manière trop rapide pour qu’on puisse en tirer de véritables enseignements, en oubliant complètement la transformation des clubs au cours des soixante dernières années, tout comme l’action de la FNA d’ailleurs…
L’ouvrage se termine se termine sur seize pages surréalistes de remerciements qui auraient pu laisser une petite place à une ébauche de bibliographie. Le lecteur aurait certainement compris nos réserves à l’égard de cet ouvrage, dont les trop nombreuses erreurs rendent l’ensemble peu crédible. Saluer la mémoire des hommes volants n’ayant eu pour seul ambition que de s’élever dans les airs aurait pu donner lieu à une œuvre sympathique, vouloir en faire d’exclusifs gardiens du Temple en suspectant la passion des professionnels est assez désagréable.
Au fait, pourquoi le vol à voile n’apparaît-il pas ici ? L’absence de l’activité aéronautique la plus proche d’un rêve de pilotage pur, plus encore qu’une voltige aérienne devenue presque brutale, est surprenante. L’histoire de l’aviation privée en France reste malheureusement à écrire, même si quelques chapitres ont été ici et là ébauchés.
Pierre-François Mary
288 pages, 14,5 x 20 cm, broché
– Préface de José Garcia