Les biographies d’aviateurs écrites par des membres de leur famille méritent tout notre intérêt. Certes, les fanas exigeants que nous sommes et autres « spécialistes » peuvent toujours pointer leur caractère rudimentaire parfois, les erreurs d’interprétation, de temps ou de lieu, les coquilles, etc. N’empêche, dès lors qu’il y a tout de même un matériau historique, cette naïveté vaut parfois bien mieux qu’un énième marronnier aéronautique grand public qui ne nous apprend rien et/ou se veut « la » référence d’un auteur se prévalant d’une qualité d’historien incontournable grâce au nombre de livres publiés (ce serait paraît-il une manie bien française que de rechercher une forme de reconnaissance en étalant son nom dans les librairies). Maurice Rochaix ne nous impose avec Pilote de Marauder aucune hagiographie et c’est précisément cette simplicité, cette sobriété qui nous a touché dans « ce passage de témoin reconnaissant d’un fils à son père, un homme comme les autres mais seulement un peu différent peut-être… des autres », tout en étant vivement intéressé par le contenu strictement aéronautique.
De fait, au terme de notre lecture, nous avons ressenti le parcours de Marcel Rochaix comme un exemple du courage simple mais déterminé d’un homme donnant forme à ses rêves d’aviateur parce que « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer » : engagé en 1929 et élève pilote grâce aux bourses de pilotage, il passe successivement par l’école Caudron d’Ambérieu en Bugey, l’École pratique d’aviation d’Istres, le 35e Régiment aéronautique de Lyon-Bron, le 38e RA (fameux à l’époque) de Thionville Basse-Yutz, de nouveau la BA105 de Lyon-Bron en 1935, dont il laisse un témoignage peu flatteur. Mais l’aventure continue sur Amiot 143 au Maroc, en novembre 1938, pour des « manœuvres destinées à intimider les populations locales » et la première mission de guerre sur l’Allemagne en septembre 1939. Il ne peut en faire qu’une seconde, sur LeO 451 du GB I/23 : la France est défaite et les unités repliées vers l’AFN. Il y parfait son entraînement sur LeO puis, démobilisé fin 1942 en France, veut retourner en AFN pour s’engager dans les Forces Françaises Libres. Mais après avoir traversé les Pyrénées, il est emprisonné à la prison de Figueras puis au camp de concentration de Miranda de Habro, où sont internés les évadés de France occupée. Fin 1943, il rejoint le Groupe Bretagne et effectue 64 missions sur le « faiseur de veuves » B-26 Marauder. En octobre 1944, à Saint-Chamas, il note : « Les Français ont, à l’évidence, vécu cette noire période différemment selon leurs niveaux d’implication dans le conflit. On ne peut évidemment demander à tout le monde de réagir comme des héros. Ici, les privations, le rationnement, l’occupation par les soldats allemands, la terreur de la milice et de la Gestapo. Là-bas, au-delà de la Méditerranée, l’engagement un peu fou de jeunes qui ont risqué leur vie pour libérer la patrie, rechercher un idéal et fuir aussi une routine ou une peur ». Fin 1944, il est de retour à Lyon où les résistants de la dernière heure « braquaient les aviateurs, vérifiaient leurs papiers, se moquaient de leurs uniformes étrangers et critiquaient leurs comportements de planqués en AFN tandis qu’eux s’étaient battus et avaient pris un maximum de risques pendant l’occupation et avec la menace constante de la Gestapo. Inutile de préciser que le moral de l’ensemble du Groupe Bretagne est au plus bas ». La paix retrouvée le voit dans le transport militaire au GMMTA et notamment comme pilote du second B-25 Mitchell du GLAM, le 692 du général Martial Valin, puis de nouveau au Bretagne sur Ju 52 Toucan (« Ainsi, l’avion de transport qui permit au IIIe Reich de remporter quelques-unes de ses plus brillantes victoires militaires devint un auxiliaire de son pire ennemi, la France ») mais aussi sur Martinet où il expérimente le « vol coqueluche », destiné à « vaincre la maladie en quelques techniques aéronautiques » (avec succès !). Sa carrière est également ponctuée par plusieurs accidents aériens liés à des problèmes techniques (pannes moteur, etc.) mais à chaque fois, il parvient à poser son avion et ramener son équipage indemne. Mais une maladie rare — le lymphome d’Hodgkin — le mine depuis quelques années déjà, même s’il ne montre jamais sa démoralisation. En mars 1955, il ne peut plus voler : « Sa vie d’aviateur s’arrête là. Toute sa vie en un mot s’interrompt. Sans appel et sans rappel. Les travaux de sa maison se terminent, il est soulagé ». Il décède peu après.
Maurice Rochaix n’a pas cherché le parrainage d’une quelconque autorité historique ou militaire en guise de préface à Pilote de Marauder, témoignage familial (avec le parcours militaire de son père, on lit aussi de petites rubriques « actualités » qui rappellent la marche du monde alors, ainsi que les vicissitudes de cette époque et la guerre subies parallèlement par sa famille), humain, sans fioritures mais qui mérite sans conteste sa place dans une bibliothèque aéronautique. Les défauts inhérents au genre « autodidacte », bien compréhensibles (quelques légendes de photos/identifications d’avions inexactes, quelques « coquilles ») ne peuvent qu’inciter sans réserve les bonnes volontés à aider un auteur animé par cette humilité (« Si chacun d’entre nous se prend pour le centre du Monde, il est certain qu’il y a autant de centres du Monde que d’individus ») d’autant qu’il nous a confié (sous le sceau du secret s’entend) préparer un ouvrage sur l’histoire du Groupe Bretagne, essentiellement sur la base de documents et témoignages de vétérans de l’unité.
Georges-Didier Rohrbacher
180 pages, 16 x 24 cm, couverture souple