Alors que le dernier escadron de reconnaissance vient d’être dissous, à savoir le 2/33 Savoie, ceci avec mes regrets personnels car je suis un ancien du 2/33, qui plus est Savoyard, je reçois un livre témoignage de Philippe Jarry qui retrace de 1954 à 1976 une partie de la brillante carrière d’un pilote de reconnaissance, son cher père, le général Pierre Jarry.
Tout commence lorsqu’il devient commandant d’escadron à Cognac au 1/33 Belfort (200 hommes, 18 avions), en octobre 1954, au retour d’Indochine, délaissant son puissant Bearcat pour les premiers jets T-33 puis F-84 G. Il lui faut une dizaine de vols pour prendre en main ce chasseur bombardier équipé de 6 mitrailleuses 12,7 mm et de deux caméras photo. Chasseur moderne subsonique à ailes droites mais sous-motorisé, le F-84G Thunderjet fut « la reine des hangars ». Il n’était pas apprécié tant sa maintenance était lourde et sa disponibilité faible en raison de la fragilité du moteur qui explosait même parfois en vol. Le métier devint moins dangereux avec l’arrivée en 1955 du robuste et fiable RF-84F Thunderflash, avion de reconnaissance à aile en flèche, doté de 6 caméras dans le nez et de quatre 12,7. Exercices divers (Carte blanche de la 4e ATAF, Kodak, Fox-Pow…), campagne de tir à Cazaux, malheureux accidents (quatre morts en deux ans de commandement), dispersions à Lunéville, Lahr, alertes, de jour de nuit, se succèdent alors que couve la crise de Suez à laquelle Pierre Jarry ne participera pas avec l’escadron qu’il vient juste de quitter. Une force conjointe franco-britannique intervint le 31 octobre 1956. Le 1/33 déployé à Chypre assura la plupart des missions de reconnaissance, faisant la démonstration de l’importance de la reconnaissance aérienne et de ses capacités opérationnelles.
En 1956 il est affecté à Lahr, à l’état-major du premier CATAC, pendant la Guerre froide, pour préparer des plans d’attaque et organiser des exercices au sein de l’OTAN, en vue de contrer l’assaut « inéluctable » des forces du pacte de Varsovie. Le 27 septembre 1957, nommé commandant d’escadre à Lahr, où est désormais la 33e escadre de reconnaissance (trois escadrons dont un toujours à Cognac), il gère les difficultés post-Suez qui occasionnaient une pénurie de pétrole, et le difficile parrainage de trois escadrilles d’appui léger en Algérie. Il participe lui-même brièvement à ces combats sur T-6 pour soutenir ses hommes sur le terrain, ayant toujours en tête l’exemplarité du chef.
Après l’École de guerre, dont il sort Major, il devient « porte-plume » puis chef de cabinet du général Stehlin, chef d’état-major de l’armée de l’air. Il suit à ses côtés le putsch des généraux d’Alger en 1961, la création de la Force de Dissuasion équipée de Mirage IV, les débats tendus sur la première loi de programmation militaire en 1960, l’arrivée des premiers Mirage III en unité. Pilote avant tout, il se débrouille pour rester dans le coup et vole sur Super-Mystère B2 à Creil, RF-84 à Lahr, bientôt sur Mirage III à Dijon, comme chef du premier CATAC, l’un de ses prochains postes. Au sortir du cabinet du CEMAA, il commande la base aérienne de Luxeuil-les-Bains où il retrouve son cher 1/33. Dans ses lettres adressées à sa famille il aborde l’entrée de la France dans l’ère nucléaire, la rénovation de l’aviation, la réorganisation du commandement, la fin de la guerre d’Algérie et ses conséquences immédiates pour les armées.
La suite de sa carrière se consacre à la formation des jeunes officiers supérieurs, comme directeur des études puis chef de l’école de guerre, avant de rejoindre Washington comme attaché de Défense et de l’air en 1972. Des commentaires très intéressants concernent cette période et les relations franco-américaines : guerre du Vietnam, guerre du Kippour, affaire Stelhin. Il quitte l’armée de l’air en 1976 après 36 ans de carrière. J’étais présent à ses adieux aux armes à Strasbourg Entzheim, le 29 juillet, devant la 33e escadre de reconnaissance réunie : un grand moment !
Ce livre couvre une période extrêmement intéressante et fondatrice pour l’armée de l’air, au cours de laquelle se sont dessinées les grandes orientations de notre Défense. Ce travail impressionnant de précision témoigne d’une recherche historique extrêmement sérieuse, complétée par les écrits de Pierre Jarry, officier talentueux, qui commente son ascension dans la hiérarchie militaire jusqu’aux étoiles, ses vols sur de nombreux appareils, ses attentes et ses regrets, sa famille, et donne son avis sur les choix militaires et politiques de l’époque. Il permet de mieux comprendre comment s’est structurée l’armée de l’air à partir des années cinquante et quel rôle important elle a joué. Passionnant pour tous ceux qui s’intéressent à ces questions !
Richard Feeser
400 pages, 16 x 24 cm, couverture souple
– Cet ouvrage est la suite de Des images sous les ailes, chez le même éditeur.