Du parachutisme dans l’Aérobibliothèque ? Il faut parfois sauter… le pas !
En l’occurrence, c’est bien une tranche d’histoire de notre Armée de l’air qui est retracée par Pierre Dumollard dans cet ouvrage. Celle des premiers parachutistes militaires, puis de l’enseignement de la discipline et la création des troupes aéroportées entre 1935 et 1941. C’est aussi, dans les premiers chapitres, une petite histoire du parachutisme soviétique, pionnier en la matière et grand frère du nôtre.
Outre une précision diabolique de certaines scènes et de certains dialogues, dont on ne sait si cela a été récréé, mais qui sonnent d’une grande justesse, ce livre est surtout caractérisé par une belle plume. C’est très agréable à lire, un peu comme un roman. Quelques exemples ?
« Et soudain, il ressentit un grand choc que son intellect associa aussitôt à ce supplice moyenâgeux qui consistait à écarteler les quatre membres d’un condamné. Puis, sans transition, ce fut le calme absolu. Le petit U.2 s’était éloigné et, maintenant, Geille se balançait avec une telle légèreté qu’il lui semblait que toute pesanteur avait disparu. Descendait-il ? Restait-il stationnaire ou, au contraire, s’élevait-il sous l’effet d’un courant ascendant ? Il ne savait évaluer. »
« Dessous, soigneusement empilées, des aunes et des aunes de soie blanche – de quoi confectionner des jupons pour tout un pensionnat de jeunes filles – et enfin, lovées au fond du sac, les suspentes en fil de soie, prêtes à se dévider telles des cordes de harpons. La table de pliage s’en trouvait tout encombrée sur une dizaine de mètres : on aurait dit l’étal d’une lingère un jour de marché aux étoffes. »
Une autre phrase nous laisserait un sourire si elle n’était le prélude d’un drame :
« Lors du premier saut, l’essayeur André Vassard s’était cassé une jambe. La célèbre parachutiste d’exhibition, Edith Clark, l’avait remplacé au pied levé. »
Quelques drames émaillent effectivement cette histoire, mais on trouve surtout de multiples récits connexes et des anecdotes savoureuses. On voit apparaître les perfectionnements techniques, nés de l’expérience de terrain (le siki, avec l’origine de son nom, la descente de l’armement et du paquetage au bout d’un filin de 6 m pour diminuer la charge à la réception, l’invention de la pince à plomber pour le pliage) ou parfois, simplement par sérendipité (invention involontaire du parachute à fente, plus stable, suite à une déchirure).
On trouve à peine deux mini-imperfections dans tout cela, la référence au « laboratoire du professeur Vallot » page 37 (1) ou l’explication « parachutiste » de la prise du fort d’Eban-Emaël page 176 (2).
La Drôle de Guerre et la Campagne de France, et leurs tergiversations quant à l’emploi des compagnies parachutistes sont non seulement racontées, mais aussi analysées. Si l’histoire est frustrante, son récit est intéressant. L’épilogue, en fin d’ouvrage, est une ouverture vers ce qui sera la suite de ces aventures, à partir de 1943 et 1945.
47 photos en noir & blanc sont regroupées dans un cahier intérieur.
Enfin, pour les inconditionnels de la présence des avions dans l’Aérobibliothèque, il est à noter qu’une petite vingtaine d’appareils accompagnent ici ces récits aéroportés (3) et partagent parfois leurs (més)aventures. Parmi, eux, bien entendu, on trouve le Potez 65 dont Pierre Dumollard avait écrit une réputée monographie en 2003, hélas épuisée.
Il est donc conseillé de sauter sur ce livre avant que lui aussi ne devienne introuvable.
Aucune chute à craindre ! Pour (para)phraser Pierre Daninos, le cerveau, comme le parachute, doit être ouvert pour fonctionner.
Jean-Noël Violette
Notes :
1) Si le refuge-observatoire du Mont-Blanc a bien été crée en 1893 par l’astronome Joseph Vallot, il fut racheté en 1923 par un mécène, petit-fils d’un maharadjah, Assan Dina. C’est pour ce dernier qu’en 1926, Joseph Thoret livra du ravitaillement par parachutage.
2) « Il n’avait pas fallu plus de 17mn aux parachutistes du général Student pour réduire tout cela au silence. »
Si les Fallschirmjäger étaient bien des troupes parachutistes, elles ont été amenées sur le fort ce jour là avec des planeurs d’assaut.
3) Polikarpov PO.2/U.2/R.5, Tupolev ANT-6/TB-3, Potez 25/54/63/65, Caudron C.570, LeO 020/213, Breguet XIX, Bloch 220, Morane MS-315, Amiot 340, Farman 224, Mureaux 115.