Raid sur Tokyo

10 mars 1945
Martin Caidin

Pour peu que l’on évoque le Japon de la Seconde Guerre mondiale, immédiatement viennent à l’esprit les bombardements nucléaires de Hiroshima et Nagasaki. Ceux-ci eurent un impact déterminant sur l’issue du conflit et ont profondément et durablement bousculé la conscience planétaire. Or, du point de vue strictement stratégique, ces bombardements n’eurent qu’un impact relativement faible au regard des bombardements incendiaires. Ce qui détruisit profondément le tissu urbain nippon, ce sont les raids qui eurent lieu dès que les Américains disposèrent du B-29 Superfortress et que par la stratégie du « saute-mouton » ils purent établir des bases ayant l’archipel japonais à portée.

La dévastation engendrée par ces raids incendiaires atteint des sommets inégalés : la quasi-totalité des bombes largués sur le Japon le furent sur des centres urbains, tuant environ 900 000* civils. Le raid de la nuit du 9 au 10 mars, élaboré par Curtis Le May, fit à lui seul environ 100 000* victimes et détruisit plus de 35 000 km2 de tissu urbain. C’est cette opération qui fait l’objet du livre de Martin Caidin, dont l’édition originale (A torch to the enemy) remonte à 1960.

L’auteur aborde ce raid sous de multiples aspects et si son texte apparaît clairement rédigé d’un point de vue américain, il aborde également le sujet sous un angle japonais, en utilisant en particulier des témoignages nippons. Dissipons d’emblée une source de malentendu : ce livre ne se cantonne pas à la narration du raid incendiaire du 10 mars 1945. Il nous propose une approche beaucoup plus large, puisqu’il commence par des considérations stratégiques et des informations sur la naissance du programme qui fit apparaître le bombardier à très long d’action : le Boeing B-29 Superfortress. Détail intéressant (et incertain) : Martin Caidin avance que le B-29 n’avait pas été conçu, comme c’est souvent expliqué, pour attaquer le Japon. Après les essais du Superfortress et les premiers raids depuis la Chine, on en vient à l’installation à Saïpan, Guam et Tinian, des îles qui jouèrent un rôle de premier plan dans la guerre du Pacifique. Le B-29 avait été conçu pour du bombardement diurne de précision sur des cibles industrielles et militaires ; c’est ainsi que furent effectuées les premières missions, coûteuses en hommes et en matériel, et d’une efficacité douteuse. Avec le remplacement du général Hansell par Curtis Le May, moins conventionnel, tout va changer : les B-29 attaquent de nuit, à basse altitude, ils sont désarmés et larguent des bombes incendiaires de plusieurs types.

Environ aux deux tiers du livre commence réellement, avec force détails, la narration du raid qui est considéré comme le plus meurtrier de l’Histoire. Cela commence par le briefing où Curtis Le May annonce aux équipages qu’ils bombarderont Tokyo dans les conditions précitées, avec les réactions que l’on imagine, mélange d’enthousiasme et d’anxiété et cela continue avec le déroulement de la mission proprement dite. L’auteur ne manque pas de développer les raisons du choix de Curtis Le May. On change ensuite de point de vue en partageant ces moments dramatiques avec des Tokyoïtes qui ont survécu à l’enfer et qui ont pu témoigner. Ce chapitre est proprement dantesque et l’auteur ne lésine pas sur les détails… dont certains auraient pu ne pas être publiés, l’horreur globale étant bien suffisante, de même que dans ce chapitre qui tranche avec les autres, l’auteur semble se laisse aller à une description un peu (trop ?) compassionnelle.

Martin Caidin ne se limite pas à un récit : de pertinentes considérations stratégiques, en particulier des comparaisons avec les raids aériens sur le IIIe Reich, émaillent son texte et lui donnent du relief, de même que des éléments sur la réalité japonaise (bien éloignés des poncifs coutumiers). Au-delà du simple raid de la nuit du 10 mars 1945, pour très meurtrier qu’il soit, ce livre apporte sur la fin de la guerre du Pacifique des éclairages fructueux et peu répandus en Europe. Comme précisé plus haut, ce livre n’est pas vraiment une nouveauté, du moins en langue anglaise : l’ouvrage remonte à 1960 et l’auteur est décédé en 1997. Toutefois, la façon dont est traité le sujet en fait un livre de choix en ce qui concerne la compréhension des bombardements stratégiques du Japon, bien au-delà de la nuit du 9 au 10 mars 1945.

Philippe Ballarini


200 pages, 15 x 24 cm, broché


*Ces chiffres sont ceux que retient Martin Caidin. Ils constituent « l’option haute » des estimations généralement retenues.

NDLA : Quelques menues erreurs accessoires : par exemple, appeler « flak » la DCA japonaise n’est pas vraiment pertinent, le terme étant une abréviation allemande.

En bref

Éditions Laville

ISBN 979-1-09-013421-8

22 €