La Grande Semaine de Reims, organisée en 1909, fut un peu éclipsée dans l’Histoire par l’autre grand événement de cette même année, quand Louis Blériot réussit à traverser la Manche à la barbe d’Hubert Latham, événement dont l’importance « géostratégique » fut peut-être un peu exagérée par la presse britannique et certains lobbys, ce que les Allemands constatèrent amèrement en 1940 : l’Angleterre restait une île que l’on n’envahissait comme ça ! Ce fut le premier grand meeting et il eut des conséquences non négligeables dans les débuts de l’aéronautique militaire dans notre pays, comme pour l’organisation d’autres manifestations dans les mois qui suivirent. De plus, si des milliers de parisiens avaient accueillis Blériot à son retour à la gare du Nord, son vol lui-même avait été assez confidentiel, sans commune mesure avec le spectacle offert aux 500.000 spectateurs venus à Reims en cette fin d’été.
Jacques Pernet et Jean-Louis Wszolek profitent donc de la commémoration de ce centenaire pour conter dans un bel album l’histoire de cette événement jusque-là inédit – au moins par son ampleur, et par la même occasion celle des autres meetings qui eurent lieu au même endroit – ou presque – en 1910 et en 1913.
Les préludes et le déroulement de chaque manifestation y sont décrits avec de nombreux détails, en se basant sur les archives locales comme sur les comptes-rendus parus dans la presse de l’époque. La forme retenue par les auteurs est un récit linéaire des événements basé sur ces sources – nous reviendrons sur ce sujet plus loin, sans pour autant être tomber dans le « copié-collé » dont certains auteurs se sont fait les spécialistes, ce qui ne les a pas empêché de reproduire hors texte quelques perles, comme cette description irrésistible du spécialiste autoproclamé qui hante les pelouses et les abords des hangars, ancêtre du « spotter » que chacun a pu croiser dans les meetings d’aujourd’hui.
On peut l’imaginer facilement, les auteurs se sont attachés beaucoup plus longuement à la première édition, celle qui eut le plus grand retentissement. Comme ils le font justement remarquer, cette mode des meetings d’aviation va rapidement se dégonfler, l’effet de nouveauté s’étiolant, mais aussi parce que les performances croissantes rendent paradoxalement de telles manifestations de moins en moins spectaculaires, sauf pour ce qui concerne les courses de vitesse, ce qui sera le cas en 1913 sur l’aérodrome de Champagne, désormais installé en permanence.
Le texte est illustré grâce à la vaste collection de cartes postales rassemblées par MM. Pernet et Wszolek, complétées par quelques belles photos provenant de collections particulières – en remarquant malheureusement une fois de plus l’absence de celles du MAE, probablement inaccessibles au budget de l’ouvrage… Parmi ces clichés, on en retiendra tout particulièrement un – remarquable de modernité, montrant l’avion de Ferber sur l’aérodrome en 1909, avec un arrière-plan et des nuages particulièrement contrastés. De manière générale, on a le sentiment que les éditeurs de cartes postales eurent parfaitement conscience de l’importance de l’événement de 1909 en publiant un très grand nombre de vues et d’une qualité bien supérieure à la moyenne, apparaissant souvent d’une journée sur l’autre. On regrettera toutefois que trop souvent un choix « esthétisant » ait été fait dans la mise en page, privilégiant l’accumulation de petites reproductions arrangées de manière décorative, accompagnées de légendes assez vagues – voire inexistantes, plutôt que ces images aient été considérées comme de véritables documents illustrant précisément le propos des auteurs.
Au-delà de la présentation de ces trois grandes manifestation de 1909, 1910 et 1913, on trouvera aussi de nombreuses informations inédites sur le développement de l’aérodrome de Champagne jusqu’en 1914, plate-forme que l’on découvre déjà en projet au moment de la première manifestation de 1909.
Il ne fait aucun doute que cet ouvrage rencontrera un succès certain grâce une mise en page soignée et attrayante, en faisant particulièrement appel aux nombreuses affiches et autres « produits dérivés » qui apparurent pour l’occasion de ces meetings.
Peut-être certains autres points de l’Histoire aéronautique des environs de Reims auraient pu trouver leur place dans un tel ouvrage, au moins par une courte mention, comme l’organisation du célèbre concours militaire en 1911; s’il eut lieu sur l’autre aérodrome de Bétheny – le « vrai », les concurrents s’entraînèrent semble-t-il sur le terrain de Champagne, avant le début des épreuves officielles.
Notre principal regret concerne cependant le parti pris par les auteurs de présenter trop souvent un simple récit des événements, dans un style proche de celui de la presse de l’époque, comme pour replonger le lecteur dans une sorte de « Belle Époque » idéalisée, plutôt que de replacer ces événements dans leur contexte, avec le recul que permet l’Histoire. Nul doute que le caractère commémoratif de l’ouvrage n’est pas étranger à cet état de fait, mais le « grand public » – pour autant que cette expression ait un sens – ne méritait-il pas une approche un peu plus moderne de l’Histoire de l’aéronautique ?
On parcourra non sans intérêt ce qui demeure un bel album, en attendant la publication d’un travail plus fouillé et mieux structuré, sachant se poser des questions, ce qui définit le mieux l’Histoire, comme le rappelait récemment un chercheur.
Pierre-François Mary
168 pages, 30 x 23,2 cm.
Couverture souple ; dos carré collé cousu
– Prix Malfanti 2010