Dire que René Ravaud est méconnu, même par ceux qui s’intéressent à l’aéronautique, est un euphémisme. Pourtant, ce fut un industriel remarquable, à la tête de la SNECMA de 1971 à 1982, période où il modernisa l’entreprise et la lança à la conquête des marchés civils, le tout symbolisé par le développement contre vents et marées du réacteur CFM56 en partenariat avec General Electric.
Cette décennie représente bien sûr le cœur de la biographie écrite par Félix Torres, à qui l’on doit déjà d’autres ouvrages à connotation aéronautique, et surtout un grand nombre de livres consacrés à l’histoire d’entreprises. Mais il ne saurait être question de séparer cette période à celle qui l’a précédé, que l’on a tout le temps de découvrir dans les pages consacrées à « l’avant SNECMA », que ce soit à la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis durant ses activités au sein de la Marine et de son aviation, suivies des années passées aux États-Unis, et enfin dans ce qui deviendra la DGA. Et c’est là que l’on découvre une à une les qualités de René Ravaud : force de caractère, indépendance d’esprit, stratège à la vision claire, organisateur hors pair, bourreau de travail… qui s’exprimeront pleinement lorsqu’il présidera aux destinées de la SNECMA.
Bien entendu, toute médaille a son revers, et, contrairement à d’autres biographes de (rares) personnages de l’industrie aéronautique française, qui s’adonnent parfois lourdement à la légende dorée, Félix Torres n’hésite pas à aborder les aspects, qui, même de son temps, passaient pour négatifs dans l’action et la personnalité de René Ravaud. C’est tout à son honneur.
Il y aurait encore beaucoup à dire, comme sur la relation privilégiée qu’il a su établir avec Gerhard Neumann de General Electric, ou encore sur l’éclairage apporté sur les relations entre pouvoirs politiques, haute administration et industrie dans ces années de la Ve République, et comment René Ravaud les utilisa pour amener son entreprise, qui partait de loin, au succès.
Et c’est finalement, cette entreprise, cette SNECMA, qui apparaît comme le protagoniste le moins développé de l’ouvrage. Pourtant, elle n’a pas été qu’un décor ! Quelques pages bien lisses (polies comme passées à l’atelier de finition…) sur les vingt-cinq années qui se sont écoulées entre la nationalisation de 1945 et l’arrivée de René Ravaud, et bien peu d’informations en matière de produits et d’activités. Une brève annexe les décrivant et les positionnant, ne serait-ce qu’en poids relatif dans les finances de l’entreprise, aurait été la bienvenue.
À ce regret près, et malgré la présence de quelques redites, nous avons affaire à un livre de haut niveau, qui sera lu avec intérêt par quiconque s’intéresse à l’histoire des entreprises et de leurs organisations, et bien sûr, à celle de l’industrie aéronautique.
Jean Schreiber
228 pages, 15 x 22 cm, broché
Notes en fin d’ouvrage, bibliographie et index
16 pages d’illustrations hors texte