Certains pourront trouver surprenante — voire inopportune — la présence dans l’Aérobibliothèque d’un document intégralement dédié à des questions d’ordre purement géographique : Représenter le monde. Tout bien réfléchi, cette présentation n’est peut-être pas si incongrue ; l’aéronautique est un moyen de transport, et ce transport fait nécessairement référence à la carte géographique. Et puis avouons-le sans barguigner, cette collection célébrissime auprès des enseignants aborde un sujet bigrement intéressant. Rappelons-nous nos vieux maîtres d’école qui, pour nous faire appréhender le problème majeur de la cartographie, nous proposaient de tenter de mettre à plat la peau d’une orange… avec le résultat que l’on imagine. C’est ainsi que l’on comprenait en quelques secondes que la représentation plane de la sphère terrestre offrait d’âpres difficultés… et de multiples solutions, aucune exacte et toutes approchées. Rappelons-nous ces cartes où le Groenland est infiniment plus vaste que la péninsule arabique et celles où il paraît beaucoup plus petit… alors que ces deux territoires ont une superficie relativement proche.
Cet ouvrage, conçu pour répondre aux besoins des élèves de terminale (programme de 2012), s’avère d’une lecture aisée autant que passionnante. Après une introduction où sont abordés les principaux problèmes posés par « l’impossible planisphère », ainsi que par la désuétude de différents patrimoines géographiques, l’auteur aborde, dans un premier chapitre intitulé « Les héritages », les premières représentations du monde, nécessairement fragmentaires. Héritages babylonien, grec, égyptien, chinois nous sont exposés avec clarté, accompagnés de reproductions, de la même manière qu’ensuite sont abordés les mappemondes médiévales, la cartographie arabe ainsi qu’un étonnant Atlas catalan. Est rappelé le rôle des portulans, cartes à usage exclusivement nautique, ne représentant qu’une mince frange du littoral (principalement méditerranéen).
On aboutit très rapidement au constat que toute cette cartographie était passablement centrée sur la Mer Méditerranée et l’Occident. Mais dans d’autres régions du monde, quelle représentation avait-on ? Le chapitre « Vu d’ailleurs » nous propose la Kangnido, carte asiatique datant de 1402, une étonnante représentation tibétaine et, plus surprenant encore, une représentation remarquable de l’archipel des Marshall, dans le Pacifique Sud, en bois de cocotier et coquillages fixés par des fibres végétales.
Retour à l’aspect historique avec ce grand moment de découvertes que fut la Renaissance, où il fallut bien refondre les anciennes cartes pour faire place au « Nouveau Monde ». En 1569, c’est la projection de Mercator dont ce chapitre rappelle que le célèbre mathématicien et géographe proposa d’autres représentations, dont une en « double cœur ». Certaines cartes redonnent à la Chine sa place « d’Empire du Milieu » tandis que d’autres, très allégoriques, caractérisent l’art baroque.
La quatrième partie repose la question de la représentation que l’on peut se faire du monde suivant le lieu où l’on vit. La logique des planisphères tels que nous les rencontrons le plus souvent, avec une Europe et une Afrique bien au milieu, ne séduit sans doute pas un Japonais, un Polynésien ou un Australien, ce qui nous amène à découvrir des planisphères déroutants… pour nous. Est abordée également, entre autres sujets, la question des fuseaux horaires et celle la pertinence de l’heure GMT.
La « boîte à outils » aborde un sujet primordial : celui des différents types de projection. Cet article (un peu court) rappelle quelques généralités sur les différents types de projection, puis évoque des types de représentation relativement récents, parmi lesquels on retiendra l’étonnante projection de Fuller, où les continents sont disposés comme étant quasiment une île unique, composition en forme d’icosaèdre (20 triangles) que l’on peut reformer, et qui présente bien moins de déformations que les traditionnelles Mercator et autres Peters. Bien entendu, l’auteur n’a pas évité la question des inévitables cartes en « 3D ». On notera également un fort intéressant chapitre de clôture, justement intitulé « L’impossible planisphère ». À l’aide de trois projections différentes (Bertin, polaire, Atlantis) l’auteur représente les flux commerciaux de l’année 2009 au sein des huit grandes régions de la planète ; le résultat est assez époustouflant car si les chiffres sont les mêmes, la vision qui nous est donnée par chacune de ces représentations varie énormément.
Il s’agit certes d’un document destiné à des professeurs de terminale, établi par un universitaire, mais si la rigueur est nécessairement présente, Christian Grataloup réussit, dans un volume assez limité, à faire passer quantité d’informations et à se montrer passionnant, ceci sur un sujet qui n’est pas censé être particulièrement récréatif. On appréciera l’originalité et la variété des approches, la clarté du propos, l’excellence des illustrations. On est nécessairement un peu plus savant après la lecture de Représenter le monde, et pour peu qu’on sache faire preuve de curiosité, on prend un réel plaisir à fréquenter Kim Sa-hyeong, les navigateurs micronésiens et Gérard Mercator… ou à comprendre que la science cartographique n’est pas aussi « neutre » que l’on pourrait l’imaginer.
À 11 € le volume, c’est de l’enrichissement… pour vraiment pas cher. Le sujet aurait été plus aéronautique, le « coup de cœur » était assuré.
Philippe Ballarini
64 pages, 21 x 29,7 cm, broché
NDLA : Ces cahiers de La documentation photographique sont conçus comme « pistes de travail » pédagogiques. Ils trouvent leurs compléments dans des transparents pour rétroprojecteur.