Roissy, un monde secret

Enquête dans les coulisses du plus grand aéroport d’Europe
Cyril Azouvi

En recevant ce livre de Cyril Azouvi, Roissy, un monde secret, j’eus l’impression qu’on m’avait fait un cadeau. Il faut dire que j’aime bien le film de Spielberg Le terminal dans lequel Viktor, le personnage joué par Tom Hanks, se retrouve apatride et coincé pendant des années dans l’aérogare de New-York/JFK. Et j’ai aussi, outre les fréquentations d’aérogares comme simple voyageur, dans mes bons souvenirs, six mois passés à l’ancienne escale Air-Inter d’Orly-Ouest, au siècle dernier, à jouer à cache-cache avec les couloirs dérobés au gré des permissions données par un badge. Tout ce qu’il fallait pour être bien disposé à l’égard d’un livre qui va nous faire découvrir les coulisses de Roissy, ce grand aéroport parisien.

Et effectivement, on se glisse dans cet ouvrage avec grand plaisir. L’introduction, construite autour de la mauvaise réputation de cette plateforme, est bien là pour nous allécher. Cela sera-t-il justifié ou non ? Le style de l’auteur, profession oblige, est très journalistique. On a l’impression de parcourir, en un peu plus long, un de ces articles de fond qu‘on trouve dans les grands hebdomadaires, sur la table basse de la salle d’attente d’un cabinet de dentiste. On se doute que ce ne sera pas de la grande philosophie, mais cela se parcourt avec bonheur. C’est un reportage très vivant, enrichi par les descriptions physiques des interlocuteurs de Cyril Azouvi ou par les dialogues qu’il replace dans leurs bouches. Avec cette présentation très dynamique, nos yeux suivent le texte, mais notre esprit l’interprète comme un documentaire télévisé, sollicitant nos sens de l’ouïe et de la vue. Pour ce dernier point, c’est d’autant plus remarquable qu’à l’exclusion d’un plan général des installations, il n’y a aucune illustration dans ce livre. C’est donc le script d’un documentaire, voire même un peu plus, notre sens de l’odorat étant aussi un peu réveillé par les allusions à des mictions de SDF ou, j’aime beaucoup mieux, sur les parkings par « l’odeur entêtante du kérosène ».

Comme il y a une palanquée de corps de métiers qui interviennent dans un aéroport, ou de personnes que l’on y rencontre, Cyril Azouvi a choisi le fil rouge de la préparation d’un vol pour nous les présenter par de petits paragraphes juxtaposés. Et pour éviter l’effet « liste », il utilise des artifices d’enchaînement pour passer d’un poste à un autre, puis d’une personne à la suivante. Artifices qui rendent la lecture très fluide, dont il use et, pourrait-on dire, abuse car on a vite fait de repérer ces balises, comme le signal lumineux sur la bobine d’un film qui doit alerter le projectionniste « Attention, on va passer à la suivante ! ». Mais on lui pardonne volontiers, car ainsi on ne se lasse pas.

On fait donc connaissance avec beaucoup de postes de travail, même si le livre n’est pas exhaustif (il n’y a pas de météo à Roissy ?), et bien des parcours individuels de ces employés sont émaillés par des anecdotes souvent intéressantes.

Certes, qui dit « journaliste » ne veut pas dire forcément « grand spécialiste aéronautique », mais on sent qu’il y a un effort. On esquissera bien sûr un sourire en imaginant le Transall, le Hawkeye ou l’Alpha-Jet classés « avions de chasse » (p.153) ou le Super-Guppy qualifié d’avion d’aéroclub (p.277)…

Qui dit « journaliste » dit parfois « sensationnalisme », mais si on s’en approche parfois, la ligne blanche n’est jamais vraiment franchie. Enfin qui dit journaliste peut penser au complexe du Prix Pulitzer. Et il est vrai que les deux derniers chapitres, consacrés aux marginaux que l’on rencontre sur la plateforme et aux expulsions éventuellement musclées de sans-papiers, où le reporter technique et sociologique tente de se muer en journaliste d’investigation, semblent étrangement longs par rapport au reste du livre. Cela présente toutefois un avantage : j’ai appris l’histoire originale qui avait inspiré Spielberg pour Le terminal.

En résumé c’est un petit livre bien agréable à lire, riche d’enseignements. Et je ne m’étais pas trompé, c’était donc un joli cadeau. Un cadeau Denoël bien sûr…

Jean-Noël Violette


384 pages, 14 x 20,5 cm, broché

Ouvrages édités par
Sur le sujet
En bref

Éditions Denoël

ISBN 978-2-207-11149-9

19,50 €