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Saint-Exupéry tel que je l’ai connu

Album
Léon Werth

« Léon Werth, 1878 – 1955 : écrivain inclassable voire atypique, journaliste, essayiste… » nous dit sa notice biographique. Ami très proche d’Antoine de Saint-Exupéry, aussi. C’est à lui que l’auteur du Petit prince a dédié son ouvrage-phare. C’est aussi à Werth qu’il voulait offrir, pour servir de préface à son 33 jours, un texte qu’il a ensuite abondé pour en faire la Lettre à un otage. C’est dire si la relation entre les deux hommes était étroite… Deux amis vrais, au sens de Montaigne et La Boétie. Et Léon Werth a voulu dire au monde sa vision de l’ami disparu.

Avertissement, donc : si l’on n’est pas touché par Antoine de Saint-Exupéry, au moins par ses mots, si l’on n’est pas intrigué par le personnage, par l’homme et par l’écrivain, à moins que l’on se passionne pour Werth il ne faut pas ouvrir cet ouvrage.

Ce livre, en fait, est un album. Un recueil, dont les textes peuvent être disparates, empruntés au moment ; un journal que l’on peut feuilleter, en s’arrêtant ici sur une photo, là sur un petit mot du quotidien… L’écriture un peu ampoulée, marquée de traits symbolistes, ne surprendra pas si l’on songe que l’auteur est un enfant du XIXe siècle. Et puis il y a la musique des variations de rythme que Werth pratique avec talent. Cela l’aère, l’allège.

Débutant avec des notes quelque peu clairsemées, extraites du journal de l’auteur, le livre se poursuit dans l’intime avec une douzaine de reproductions de lettres et de petits mots de « Tonio ». Émotion… Surprise, aussi, de découvrir l’écriture de cet homme dont la sensibilité a produit des pages inoubliables…

Le chapitre suivant nous emporte dans une toute autre dimension : sur une quarantaine de pages, Léon Werth nous livre une analyse de Citadelle, ouvrage posthume de l’écrivain pilote ; mieux encore il nous parle de son auteur. Dans ce véritable parcours initiatique qu’est Citadelle, Saint-Exupéry se dévoile par bribes à travers le personnage du chef, monarque africain antique, omnipotent, et celui de son fils, qui parfois se confondent. Cet ouvrage que Saint-Exupéry appelait son « poème », Werth le qualifie « d’improvisation d’organiste ». Improvisation, probablement parce que le livre n’a pas été vraiment organisé, et surtout pas terminé par un auteur qui revenait encore et encore sur le mot et la page, jusqu’à la dernière minute. Organiste, parce que Werth conçoit pour son ami une admiration sans borne. Il est vrai que Saint-Exupéry, virtuose de l’écrit, met toute sa virtuosité en œuvre dans Citadelle. La lecture que nous en délivre Werth, fidèle parmi les fidèles, le décode tel qu’il l’aime. Une vision qui certes diffère parfois notablement de la légende de l’écrivain pilote, mais qui finalement l’enrichit. Il défend ainsi avec brio cet ouvrage, dont la parution en 1948 a été controversée.

Les deux derniers chapitres poursuivent et étayent le portrait, avec une grande vérité et beaucoup de pudeur. Là, ce sont les souvenirs d’avant la guerre, souvenirs des échanges passionnés et denses qu’ont eu les deux hommes, petits morceaux de chronique, matière de la pensée de l’écrivain disparu, de l’ami éternel… Une quarantaine de pages qui en elles-mêmes justifient la lecture de ce livre.

Restent les images… Outre les écrits de Saint-Exupéry, il y a quelques manuscrits de Werth… Et des photos. De ces photos que l’on découvre dans les albums — tiens ? — familiaux, saisies au hasard d’un déjeuner sur l’herbe ou d’une promenade entre amis. Parfois touchantes, un peu désuètes… Rien de très aéronautique ; on entrevoit seulement un Caudron Simoun (le F-ANRY, à Ambérieu à l’été 1935) sur certaines d’entre elles.

Comme de l’amitié entre les deux hommes, ce livre atypique se nourrit de leurs différences, et leurs échanges sont marqués par le temps et ses vertiges ; la fin des années trente, la guerre qui approche… Il en ira de même dans la poursuite finalement solitaire du dialogue amical. En même temps si l’on peut dire que Werth, délivrera sans concession dans ces pages sa vision des choses, son refus toujours sous-jacent d’une analyse trop étriquée sur le pays, ses douleurs, ses dérives. Saint-Exupéry, son temps, ses idées… De quoi alimenter nos réflexions et enrichir notre admiration.

Philippe Boulay


208 pages, 17 x 20 cm, broché

En bref

Éditions Viviane Hamy

ISBN 9782878580532

22,00 €