Santos-Dumont

La demoiselle et la mort
Michel Bénichou

Difficile d’ouvrir une Histoire de l’Aviation sans y croiser la silhouette frêle et élégante d’Alberto Santos-Dumont, généralement juché sur son XIV bis et presque invariablement coiffé de son célèbre chapeau. Si l’ouvrage s’intéresse d’un peu plus près aux premières années du XXe siècle, on pourra y trouver quelques-uns des dirigeables avec lesquels il habitue les parisiens au fait aérien à partir de 1899 ou bien son ultime Demoiselle, mais tout cela est bien loin de suffire à former l’image précise d’un homme qui pourtant paraît omniprésent dans le paysage des débuts de l’aviation en France.

Peter Wykeham avait tracé un premier portrait du Brésilien il y a une cinquantaine d’années, mais outre son style un peu désuet, typique des biographies d’après-guerre, son travail restait imprécis sur certains points, en particulier sur la période cruciale qui le vit basculer des dirigeables au plus lourd que l’air ; après un court article dû à la plume de Charles Dollfus dans un très ancien numéro d’Icare, il avait fallu attendre que Stéphane Nicolaou nous fasse découvrir en 1997 ce que recelait à son sujet les trésors photographiques du Musée de l’Air. Ce sont dans ces mêmes archives – souvent ignorées par les auteurs non francophones, que Michel Bénichou est allé se plonger pour bâtir le travail qu’il nous propose.

Le terme « définitif » est bien trop souvent utilisé à tort à propos de tel ou tel travail, mais l’auteur a trouvé ici le bon équilibre entre les faits purement biographiques qui forment un portrait juste de l’homme, et les aspects plus techniques de ses réalisations. On pourrait toujours espérer en savoir plus, mais il est à craindre que les seules archives qui ont survécu ne permettent pas d’aller plus loin dans les méandres d’une vie paradoxalement mondaine et secrète à la fois.

Première mise au point pertinente de l’historien, Il nous présente un Alberto Santos-Dumont très loin d’être aussi fortuné qu’on a parfois bien voulu le dire ; certes la vente du domaine familiale par son père lui donne l’aisance des derniers rentiers qui profitent encore des moments de relative stabilité financière du XIXe siècle, mais la possession d’un hôtel particulier à Neuilly et une table réservée chez Maxim’s n’en font pas l’égal de ces richissimes Sud-américains d’opérette qui jettent l’argent à tous vents. On découvre un homme conscient de son image publique et qui sait en jouer, mais pourtant extrêmement réservé et timide, sauf si on engage la conversation sur son sujet de prédilection, l’aviation…

Après un utile rappel de l’état dans lequel se trouve la science des dirigeables au tournant des années 1890-1900, on suit les travaux d’un technicien qui, sans être autodidacte, a préféré définir lui-même son programme d’études en recourant à des professeurs particuliers, complétant de solides connaissances mécaniques acquises au contact des employés de l’exploitation de café où il passe sa jeunesse. Santos est bien l’un de ces amateurs comme son époque en compte tant, appliquant son intuition à des connaissances assez larges, mais complètement dépourvu d’ambition industrielle ; Michel Bénichou sait bien nous faire sentir que celui qui est devenu la coqueluche du Tout-Paris ne sait plus trop dans quelle direction continuer après avoir enfin remporté le Prix de l’AéCF en allant doubler la Tour Eiffel en octobre 1901: même si il propose ses inventions aux militaires, il est avant tout un « sportsman » que seul passionne la compétition.

Les péripéties qui émaillent les différentes tentatives précédant l’exploit historique nous donnent un excellent coup d’œil sur l’état d’esprit qui règne alors dans les milieux aéronautiques et en particulier au sein d’un Aéro-Club de France qui lui porte un soutien ambigu, dont les membres sont partagés entre l’admiration et le regret de ne voir aucun concurrent complètement français se dresser sur la route du Brésilien (c’est son grand-père qui a émigré en Amérique du Sud).

On aurait peut-être aimé plus de détails sur les étapes de la conception des son engin n° XIV bis, mais il est probable que les seules sources disponibles nous interdisent d’en savoir plus sur les étapes d’un chemin improbable vers un premier décollage européen …
La suite nous rappelle l’existence des quelques machines qui suivirent le vol de Bagatelle, formant une suite plus logique qu’il n’y paraît au premier abord vers son ultime Demoiselle, en même temps qu’elle éclaire et explique les apparitions de moins en moins régulière de l’homme public entre 1906 et 1909.

On lira avec attention le dernier chapitre de cet ouvrage qui résume parfaitement la trajectoire d’un homme dont une certaine forme d’Histoire a voulu ignorer la fin tragique. Même si Santos-Dumont joua un rôle secondaire dans la naissance de l’aéronautique sous sa forme industrielle, et ce malgré un certain nombre de « premières », la lecture de ce très beau livre est indispensable a qui veut comprendre les années qui précédèrent la Grande Guerre, et le fait qu’il soit remarquablement illustré ne gâche rien ! Saluons comme il se doit cette petite collection des Grandes figures de l’aviation créée par les Éditions Larivière.

Pierre-François Mary


140 pages, 22 x 28,5 cm, relié cousu
Couverture rigide + jaquette


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Éditions Larivière

ISBN : 2-84890-127-6

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