Coup de cœur 2014 |
Il n’est pas très difficile de dresser le portrait de Philippe Ricco. Plutôt coureur de fond que sprinter, il use volontiers d’une phrase qui le définit bien : « La date de parution de mon livre ? C’est quand il sera prêt. » Ne comptez pas sur lui pour boucler un ouvrage à la va-vite. Les impatients s’en plaindront, les « aéromaniaques » s’en frotteront les mains… et certains éditeurs s’en arracheraient les cheveux. Philippe Ricco est connu pour viser l’excellence et ne pas compter le temps passé. Une telle approche ne peut qu’inciter à un a priori favorable, d’autant plus que cet ouvrage est édité par Lela Presse, éditeur des plus sérieux ayant à son actif un beau rayon de livres prestigieux. Voilà donc un attelage dont il n’est point besoin d’être devin pour imaginer que le fruit de leur collaboration sera une inévitable réussite.
Il est des appareils qui furent construits à des centaines, voire des milliers d’exemplaires et eurent une carrière longue mais monotone. Le SE.161 Languedoc n’est pas de ceux-là. Même s’il n’eut pas la vie resplendissante des DC-3, DC-4 et autres Constellation, on aurait tort de le considérer comme un appareil anecdotique, car la centaine d’exemplaires connurent des utilisations et de destins étonnamment variés.
Avec une conception qui remonte à l’avant-guerre, un développement pendant l’Occupation et une construction et une mise en service dans l’immédiat après-guerre, le Languedoc retient déjà l’attention par une jeunesse compliquée en des périodes difficiles. Le chapitre « genèse et production » s’étale sur pas moins de 54 pages ; c’est dire si, même en présence de nombreuses photos, cet aspect du sujet a été soigneusement décortiqué par l’auteur.
Suit, de façon toute logique, un chapitre sur l’utilisation civile du Languedoc, en particulier ― à tout seigneur tout honneur ― chez Air France. Une fois de plus, nous avons affaire à ce que nos amis maquettistes nomment « superdétaillage ». De la mise en service laborieuse au détail des huit années au sein de la compagnie nationale ainsi que d’autres, CAT, Air Atlas ou Tunis Air, il ne semble pas manquer un bouton de guêtre et le lecteur sera surpris du nombre de mésaventures subies par l’appareil. Idem en ce qui concerne les quelques Languedoc vendus à l’étranger, Pologne, Liban, Égypte et Espagne.
Nous arrivons sensiblement au milieu de l’ouvrage quand s’ouvre à nous la carrière militaire du quadrimoteur : logique, puisque environ la moitié des Languedoc volèrent sous la cocarde (à hameçons ou pas). En ce qui concerne l’Aéronautique navale, les curieux remarqueront, outre l’usage « école » (EPV) ou transport, d’intéressants appareils dotés d’un nez radar ou d’un radôme ventral, d’autres ayant servi aux essais d’engins placés sous l’aile. L’armée de l’air le vit en évaluation au CEAM, puis au transport au sein du GT 2/61 Maine. Son arrivée parmi les premières unités de recherche et de de sauvetage le fit succéder aux LeO 453 pour la surveillance des côtes ; ce sont les célèbres Languedoc des SAR, reconnaissables à leur « jabot », leur excroissance ventrale et leur « robe » peu commune.
Le menu de la carrière que nous qualifierons de « conventionnelle » est déjà passablement chargé, mais le festin est loin d’être terminé. Il y a un dessert, plutôt copieux : près de 100 pages dédiées aux utilisations spéciales. Les connaisseurs se souviennent bien sûr que le Languedoc servit d’avion porteur pour les appareils de René Leduc, mais ceci n’est qu’un aspect des usages multiples qu’on fit de ce quadrimoteur aux essais en vol. Impressionnant ! Avion porteur pour les Leduc et maquettes volantes telles les NC.271 et SO M1, il servit aussi (entre autres) de remorqueur pour planeurs, de banc d’essai volant pour moteurs à pistons ou à turbine, réacteurs divers et variés, essais de givrage, de largage… Ce dessert, pourtant copieux, est assorti de chapitres résolument techniques, abordant plusieurs problèmes rencontrés et la description détaillée de l’appareil. On notera un paradoxe : le chapitre « Mystères divers » s’est amenuisé au fil du temps. Ceci n’est guère étonnant : au fur et à mesure que l’auteur avançait dans ses investigations, la plupart des questions énigmatiques ont trouvé leur réponse. Après cette brillante étude, le Languedoc n’offre plus guère de point d’interrogation. Après le dessert, reste une place pour le café qui clôture cet ouvrage : plus de 30 pages consacrées aux carrières individuelles, assorties bien évidemment de photographies chaque fois que ce fut possible. On notera, en guise de point d’orgue sur deux pages, un remarquable tableau synoptique de la carrière des cent Languedoc.
Le premier article de Philippe Ricco fut publié en 1995 dans le Trait d’Union. Depuis, l’auteur n’a eu de cesse d’accumuler des informations et des documents que, fidèle à son principe, il nous livre une fois que tout est prêt.
Le SNCASE SE.161 méritait bien un ouvrage de haut niveau. Voilà donc un livre qui s’offre le luxe de l’exhaustivité, mais sans être ennuyeux le moins du monde. Il ira rejoindre la minuscule escouade des monographies que l’on peut présenter comme exemplaires et dont de nombreux auteurs pourraient s’inspirer pour la préparation de prochains ouvrages. Philippe Ricco sait se montrer critique et exigeant vis-à-vis des ouvrages de ses confrères auteurs « aéro » ; il nous prouve, si c’était nécessaire, qu’il applique cette rigueur à lui-même. L’iconographie est riche, non seulement de la quantité des photographies (dont de nombreux inédits), mais de leur variété ; notons la présence de plans signés Joël Ménard et de profils dus à Pierre-André Tilley. La qualité de la mise en page et de l’impression est au rendez-vous. Cela n’a rien d’étonnant : c’est devenu une constante chez Lela Presse. Ce livre est magistral, tant par son contenu, sa structure équilibrée que sa facture : un nouveau sans-faute pour l’éditeur Lela.
Philippe Ballarini
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Introduction (par l’auteur)
Le Bloch 161, plus connu sous son nom de baptême d’après-guerre : le « Languedoc »… ce quadrimoteur était le plus grand avion français de son époque et fut également celui produit en plus grand nombre, jusqu’à l’avènement de la Caravelle. Il servit un peu à tout et à tout le monde, civils comme militaires, cobaye aux talents multiples et aux transformations spectaculaires, une sorte de bonne à tout faire de l’aviation française. Pourtant, bien qu’il ait permis à la France de prendre pieds dans une nouvelle ère qui aboutit à l’aviation moderne, il est fort mal connu. Son histoire particulièrement mouvementée, qui s’étale sur près de trois décennies de 1937 à 1965, est pleine de mystères et recèle quelques drames.
Omniprésent mais pourtant mystérieux, la presse se fit écho à l’époque de bien des histoires plus ou moins fondées, construites de bribes d’informations parcellaires et incomplètes, mêlées de faits réels et de confusion, de polémiques, de secrets, voire de désinformation, d’erreurs et de légendes en grande partie fausses. Ces histoires furent encore reprises, déformées, amplifiées par plusieurs générations passées depuis. À travers la reconstruction de l’industrie du pays aussi bien qu’à travers la mutation de la société elle-même, qui tentait de se redresser et repartir de l’avant, reconstituer la carrière de ces machines est devenu une véritable gageure. Le tri entre informations concrètes et imaginaires s’est transformé avec le temps en un sacré casse-tête. Raconter leur histoire nécessitait de retrouver les informations de base, recueillir les souvenirs des derniers témoins, rassembler les documents éparpillés et les replacer dans leur contexte pour les comprendre, reconstituer les chronologies, relier entre eux des évènements dont la trace s’est amenuisée, appréhender un ensemble devenu diffus pour tenter de lui rendre sa cohérence, confronter tous ces éléments pour rétablir la part de réalité et ramener les récits discordants à leur juste place. Rien d’étonnant donc que si peu de littérature ait été consacrée à ces avions, dont l’histoire est pourtant si riche et pleine de surprises, de rebondissements de toutes sortes, de contradictions, de tragédies et d’exploits.
L’enquête qui a permis de reconstituer cette histoire est l’œuvre d’années de recherches de plusieurs passionnés, dont la synthèse a été elle-même semée d’embûches, tant les informations et les témoignages manquent ou se contredisent. La complexité, les surprenantes révélations et les déductions qui constituent cette saga, se sont souvent montrées difficiles à recouper, confirmer, illustrer ou même simplement parfois à expliquer. L’accent a souvent été mis sur la variété d’une riche iconographie, mais la compréhension du contexte historique n’a pas été négligée pour autant pour enrichir cette étude. Bien d’autres étonnants détails n’ont pu être rassemblés dans cet ouvrage. Celui-ci constitue une synthèse globale, aussi approfondie que l’ont permis les connaissances de l’auteur et le volume de publication, mais celle-ci pourra encore être complétée et corrigée par les témoignages et les documents qui ne manqueront pas de refaire surface à l’avenir.
350 pages, 21 x 29,7 cm, relié
600 photos
Profils couleurs de Pierre-André Tilley, plans de Joël Mesnard.
– Collection Profils Avions N°22
– Les autres ouvrages de la collection Profils Avions
Avec l’aimable autorisation de
© Lela Presse
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