Il est bien connu qu’en Europe occidentale, en France plus particulièrement, on a généralement une vision très « européano-centrée » de la Seconde Guerre mondiale. Bataille d’Angleterre, Débarquement en Normandie suscitent bien des publications (inégales) et des discussions, tandis que plus on s’éloigne du théâtre d’opérations ouest-européen, plus le sujet est ignoré. L’attaque japonaise contre l’Australie et les combats aériens que suscita la tentative d’hégémonie de l’Empire du Soleil Levant contre cette partie du globe demeuraient à ce jour largement méconnus et négligés par les amateurs français d’histoire de l’aviation ou de la Seconde Guerre mondiale. Cela confère un intérêt particulier à ce volumineux ouvrage.
Ainsi que le rappelle l’auteur, au début de la guerre, l’Australie n’est pour le Royaume-Uni qu’une sorte de base arrière au même titre que le Canada, grande pourvoyeuse de troupes et de matériel destinés à soutenir l’effort de guerre en d’autres lieux. Peu et mal défendue, sous-équipée en appareils militaires, l’Australie était censée être protégée (de façon bien illusoire) par l’Eastern Fleet de la Royal Navy. La sous-estimation de l’agressivité et des capacités militaires japonaises ajoutèrent à cet état de fait dommageable aux Australiens.
L’attaque du port de Darwin (Territoires du Nord), le 19 février 1942, sonna comme un autre Pearl Harbor, bataille avec laquelle elle présente bien des similitudes : on retrouve la même négligence, la même méfiance méprisante vis-à-vis du radar, voire une incrédulité hautaine et narquoise au moment même où se déroulaient les premières attaques.
Une fois que fut ravagé le port de Darwin, position primordiale pour les Alliés, les Japonais pensèrent avoir les mains libres pour leur expansion dans la région. Cet épisode est évoqué avec un étonnant luxe de détails ainsi que, comme ce sera le cas dans les chapitres suivants, une précieuse mention des visées stratégiques des belligérants.
Le chapitre suivant est consacré à la période de mars à septembre 1942, où l’on voit les Nippons essayer de se livrer, après les menaces de Tojo visant à démoraliser les Australiens (avec un certain succès temporaire), à une sorte de guerre d’usure dont l’empire japonais n’avait pas les moyens, période durant laquelle on put assister, dès juin 1942, à une reprise progressive de l’offensive alliée.
Les combats évoqués ici sont bien évidemment à inclure dans le théâtre d’opérations bien plus vaste du Pacifique sud, ce qui transparaît clairement dans le troisième chapitre : les forces alliées stationnées dans le nord de l’Australie furent mises à contribution pour rappeler de façon aussi désagréable que possible leur présence et leur combativité aux forces japonaises opérant plus au nord, en particulier en Indonésie.
Les trois chapitres suivants évoquent la période allant de mars 1943 à l’années 1944, décrivant la lente remontée en puissance des forces alliées et l’inexorable recul du Japon jusqu’à son effondrement. On notera entre autres l’apparition des Spitfire, la reconquête d’un espace aérien de plus en plus vaste au nord d’une Australie désormais à l’abri du danger, ainsi que les premiers signes avant-coureurs de la défaite nippone.
L’amateur de technique aéronautique ne manquera pas de remarquer le fossé qui sépare, en particulier du côté allié, les appareils en jeu en 1942 et ceux qui apparaissent au fil du temps jusqu’en 1944.
On reste admiratif devant l’importante somme de travail fournie par l’auteur, Bernard Baëza, qui a su non seulement relater par le détail les combats aériens ayant eu lieu dans cette région du globe, tout en fournissant au lecteur d’importantes indications sur les aspects stratégiques des opérations. Sans ces précieux éléments relatifs à la stratégie, tant du point de vue allié que nippon, et sans les cartes présentes dans l’ouvrage, il eût été ardu de déchiffrer le sens des événements relatés dans ce livre avec une méticuleuse précision.
Collection Histoire de l’aviation oblige, Soleil Levant sur l’Australie comporte son lot de profils (au nombre de 43, en grande taille, regroupés sur 18 pages) et tableaux. L’examen des sources et références est éloquent quant à la somme des documents consultés.
Remarquable, ce volume l’est à plusieurs titres. Il est tout d’abord étonnant de voir traiter avec autant de profondeur, dans un volume en français, un sujet somme toute « exotique ». Nul doute que ce livre demeurera longtemps un ouvrage-phare à propos de la guerre aérienne sur le théâtre d’opérations de l’Australie et de ses environs. Remarquable également (mais c’est généralement le cas pour les autres volumes de cette collection), pour la richesse de l’iconographie, abondante mais sans excès, ainsi que pour le soin coutumier apporté à une réalisation toujours aussi sobre et sérieuse, où l’on reconnaît la « patte » de Jean-Marie Gall. Un coup de chapeau sans retenue à l’auteur, Bernard Baëza, qui a consacré huit années à la préparation de cet ouvrage sur un sujet difficile, construit sur l’étude d’archives tant australiennes et américaines que japonaises ; un autre coup de chapeau enfin à Lela Presse qui a pris le risque de l’éditer. En tout cas, un modèle de précision et d’équilibre.
Philippe Ballarini
448 pages, 21 x 29,7 cm, relié
750 images, 43 profils couleur (Thierry Dekker)
– Collection Histoire de l’aviation N°19
– Les autres ouvrages de la collection Histoire de l’aviation