Tomoyuki Shirakawa a de la chance : après des années de front aux commandes de son Nakajima Hayabusa, l’armée impériale l’envoie dans une unité d’essais. Il revient donc à Tokyo, où il pourra tester et mettre au point les nouveaux modèles… et retrouver sa femme le soir venu.
Cette situation particulière offre à Takizawa un axe rare pour un récit de guerre : il fait tout naturellement la jonction entre Tomoyuki et Mariko, suivant les deux en parallèle. Il mêle ainsi le récit d’aviation sérieux, techniquement travaillé, dont il s’est fait une spécialité, et la vie d’un couple à l’hiver 1944, alors que le rationnement, les privations et les exercices civils absurdes rythment la vie quotidienne des Japonais. Sous le ciel de Tokyo… joue donc de page en page avec des tonalités différentes, tour à tour épique voire héroïque, ou intimiste, et parfois comique malgré son fond tragique.
Décors raisonnablement détaillés, personnages lisibles et expressifs, dessin dynamique…
Il y a peu de surprise à attendre sur le plan graphique : Takizawa maîtrise parfaitement son art et, si la mise en pages est un peu plus sobre qu’à son habitude, l’association de son trait réaliste à la précision technique indéniable et d’un style un peu plus arrondi et expressif pour les personnages fait merveille.
Côté narration, on peut regretter l’aspect idéal, irréprochable, de ses deux héros, dont le seul défaut est de dire ce qu’ils pensent – ce qui, trois quarts de siècle plus tard, est plutôt jugé comme une qualité supplémentaire. Seuls l’état-major et plus généralement les figures d’autorité peuvent être tournés en ridicule dans cette histoire profondément optimiste. Mais en contrepartie, le récit regorge de petits détails bien vu, techniques ou humains, qu’il s’agisse de l’observation des réservoirs auto-obturants d’un Boeing B-29 Superfortress ou de l’art de préparer un miso ni trop sucré, ni trop salé en temps de rationnement.
…et, bien sûr, précision technique et passion aéronautique :
ça n’est pas Takizawa qui dessinerait un nez de P-38 sur un F-5 !
Notre principal regret reste la traduction, où l’on découvre par exemple qu’un Hayabusa n’aurait qu’une seule mitrailleuse et où l’on note quelques confusions entre le « modèle », le « type » et la « version » des appareils. Le système de nomenclature japonais est, il est vrai, particulièrement complexe, mais c’est justement pour cela que les éditeurs devraient s’adjoindre les services d’un spécialiste susceptible de vérifier la traduction…
Le résultat est sans nul doute la meilleure œuvre aéronautique de Takizawa, celle où il parvient à réunir les aspects techniques et humains de son art — observation valable non seulement pour le choix du sujet, mais également pour le scénario et le graphisme.
Franck Mée
208 pages, 12,8 x 18,2 cm, broché
0,188 kg