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Sur les traces de Jean de Selys Longchamps

Une vie au galop
Marc Audrit

 Coup de cœur 2023

 

L’aérobibliothèque décerne un coup de cœur 2023 à cet ouvrage écrit par Marc Audrit et publié par l’éditeur Weyrich, spécialisé dans l’histoire militaire (infanterie et blindés) et dont c’est seulement le deuxième livre consacré à un aviateur belge.

L’impression est favorable dès la prise en main de l’épais et lourd volume, une solide couverture cartonnée, un dos carré, un façonnage soigné. Sur la couverture, une œuvre de Julien Lepelletier qui évoque le fait d’arme qui a rendu Jean de Selys Lonchamps célèbre parmi tant d’autres.

La table des matières liste 17 chapitres qui fleurent bon les références cinématographiques (Mon père ce héros, les 400 coups, les ailes du désir, les vestiges du jour) et j’ai souri en découvrant « de la fuite dans les idées ». La préface est signée du Général Van Caelenberg et l’introduction de l’auteur permet de comprendre le travail et le but recherché par l’auteur. But atteint via une recherche poussée dans les archives familiales, les archives militaires en Belgique et en Grande-Bretagne, des médias plus récents (reportages télévisuels) et de nombreux volumes consultés et référencés en bas de page, en plus d’une bibliographie sélective en fin d’ouvrage.

Comme il sied à une biographie, le récit est chronologique, et remonte à quelques ascendants du baron Jean de Selys Lonchamps, puis son père, combattant de la première guerre mondiale. La jeunesse dorée et la campagne des 18 jours, ainsi que l’on nomme mai 1940 outre-Quiévrain sont évoquées à la suite, puis une période vécue en France de juin à décembre 1940, intitulée « un voyage en absurdie », qui laisse augurer des atermoiements de l’époque. Puis l’arrivée en Grande-Bretagne, l’engagement dans la Royal Air Force, l’entrainement au pilotage où le jeune officier côtoie d’autres Belges et des Français Libres dans les écoles d’Odiham et de Ternhill. Il espère être affecté au Squadron 609 de la Royal Air Force, basé à Biggin Hill, et dans lequel volent déjà de nombreux chasseurs belges, et y arrive fin septembre 1941, en compagnie d’un certain Raymond Lallemant. Evoluant sur Spitfire initialement, il est transformé sur Typhoon au printemps 1942. Une idée lui trotte dans la tête, une attaque de l’immeuble du Sipo-SD, service allemand qui traque les résistants belges (le langage courant lui donne souvent le nom de Gestapo, qui est erroné). La R.A.F. ne l’autorise pas, peu importe, le 20 janvier 1943, il attaque avec ses canons Hispano de 20 mm l’immeuble situé au 453 de l’avenue Louise, à Bruxelles, sa ville natale. Il largue un drapeau anglais et un drapeau belge. Audacieuse, l’attaque est parfaitement exécutée, aucun obus n’a touché à côté. Cinq militaires allemands sont tués, une trentaine blessés, et l’opération remonte le moral des belges.

Dans le même temps, des tensions finissent par aboutir à son transfert au Squadron 3 début mars 1943. L’unité se convertit au Typhoon et il en est devenu un des pilotes les plus expérimentés. Il reçoit la Distinguished Flying Cross puis la Croix de guerre belge, mais dans la nuit du 15 au 16 août 1943, il s’écrase à Manston au retour d’une mission sur le continent. Enterré localement, il repose toujours dans le petit cimetière de Minster, alors que la majorité des aviateurs belges ont été transférés après la guerre à Evere, près de Bruxelles.

Marc Audrit brosse ici une biographie qui n’est pas hagiographique, et on lui en sait gré. Il n’évacue pas la personnalité du baron, qui peut être cassante, son individualisme, les tensions avec les autres aviateurs, par exemple sur le sujet de Léopold III, car Jean de Selys est un pur royaliste. De même, son travail est remarquable quand il explique les raisons et la temporalité de la perte de grade anglais en janvier 1943, que d’aucun avaient mis sur le compte de la désobéissance pour le raid non autorisé sur l’avenue Louise, sur le prétendu agent double tué lors de l’attaque. De même, les raisons de la chute mortelle du 16 août sont proposées mais pas imposées.

Le tout est écrit dans un français de très haute tenue, classique avec quelques petites touches de modernité juste ce qu’il faut en 2023 (bug, buzz). J’ai même du avoir recours au dictionnaire pour comprendre le mot « coruscant » (1). Le recours à des notes de bas de page est un réel confort. Nous avons cependant regretté quelques erreurs vraiment dommages à ce niveau d’excellence (2).

Enfin, il faut évoquer l’iconographie. Riche, variée, puisée aux meilleures sources, et parfaitement reproduite sur un papier de qualité. Tout au plus peut-on regretter que certains documents ne soient pas reproduits plus grands, comme les pages du carnet de vol du pilote. « M. Cadbury, tu ne peux pas les faire un peu plus grand… ». A ces photographies noir et blanc pour l’essentiel, s’ajoutent trois profils en couleurs (un Spitfire et deux Typhoon) que l’on doit à Johan Wolfs, et un portrait crayonné très réussi de Fabien Clairefond. Là encore, on pourrait juste regretter l’absence de cartes, notamment de Bruxelles, pour mieux se repérer.

L’après-guerre, la famille, le souvenir jusqu’au 80ème anniversaire de l’attaque et de sa disparition, complètent fort judicieusement cette excellente biographie. Afin de récompenser cet excellent récit parfaitement illustré, « Sur les traces de Jean de Selys Longchamps une vie au galop » mérite un coup de cœur de l’aérobibliothèque.

Jocelyn Leclercq


– 400 pages, 16,5 x 23,5cm, couverture cartonnée,
– 0,615 kg


(1) Non, pas la planète dans la guerre des étoiles, mais un adjectif.

(2) I/O pour Information Officer alors que le signe désigne l’Intelligence Officer, soit l’officier renseignement, ou bien les grades erronés de Flight Officer et Flying Lieutenant

En bref
ISBN 978-2-87489-902-7 26 €