Les premiers appareils construits par les frères Voisin, puis les vols fameux de Henry Farman, sont des éléments incontournables de la mémoire aéronautique française. Cependant, pour un lecteur britannique, ces faits peuvent paraître avoir été oubliés par une littérature anglo-saxonne moins sensible aux sirènes d’un certain chauvinisme français qu’aux arguments techniques en faveur des travaux des frères Wright.
Journaliste automobile britannique, passionné des automobiles Voisin, il n’est pas surprenant que Reg Winstone se soit penché sur les productions aéronautiques des deux frères Charles et Gabriel Voisin, en prenant comme idée maîtresse le fait que le biplan « Henry Farman n°1 » doit être considéré comme le premier « aéroplane pratique », facile à piloter, et pouvant décoller et se poser partout. Cette définition paraît simple et objective, mais il serait bien naïf de ne pas y voir une suite telle que « … au contraire du « Flyer » des frères Wright, difficile à maîtriser et nécessitant une catapulte ».
L’auteur n’apporte pas d’éléments réellement nouveaux sur le sujet, mais il faut reconnaître qu’il aborde un sujet qui n’avait pas été traité depuis de nombreuses années, au moins de manière monographique. On suit les pas des deux lyonnais montés à Paris, travaillant d’abord pour Ernest Archdeacon – avant de créer la première entreprise d’aviation du monde, dans le sillage de la conférence d’Octave Chanute devant les membres de l’Aéro-Club de France en avril 1903, laquelle secoue la léthargie dans laquelle est alors tombé l’aviation dans notre pays, les travaux de Ferber mis à part. Toutefois, lorsque Henry Farman vient commander son appareil au deux frères Voisin en 1907, l’intrigue de l’ouvrage change de rythme: c’est désormais aux progrès et aux modifications apportées à sa machine par le premier que Reg Winstone attache ses pas ; le « Right Flyer », c’est lui, Henry Farman, qui s’impose au cours de l’année 1908 comme le premier et meilleur véritable pilote d’aéroplane… de ce coté-ci de l’Atlantique ; d’ailleurs si aujourd’hui on se rappelle le « premier kilomètre fermé » et le « premier vol sur la campagne » de Bouy à Reims, on les attribue toujours au pilote, en oubliant presque sur quelle machine ces exploits médiatiques ont été réalisés.
Mais le biplan Voisin, largement modifié par son propriétaire, est-il pour autant un « aéroplane pratique » tel que l’affirme l’auteur dans son avant-propos ? Croit-il d’ailleurs vraiment à cette idée, tant il nous montre combien le chemin parcouru par Henry Farman est cahoteux, pilotant un engin dont les performances restent marginales même après plus d’une année d’essais et de transformations à la fin de l’année 1908, lorsque Wilbur Wright fait définitivement taire ceux qui ne voyaient qu’un bluff dans ses affirmations, grâce à ses démonstrations mancelles aux commandes d’un aéroplane qui se contente d’une puissance bien plus faible que celle des différents moteurs de Farman, signe d’un appareil et d’une hélice — on oublie les qualités de celle-ci trop souvent — bien plus aboutis ? Finalement, parler d’aviation pratique a-t-il un sens au cours de ces années pionnières ? L’histoire nous montre que l’aéroplane pour tous (ou presque) à l’image de l’automobile, est un échec complet au tournant de 1910-1911.
L’historien britannique Allen Andrews, dans son excellent « Back to the drawing board », affirme qu’il faut attendre 1914 et l’Avro 504 pour envisager un aéroplane « pratique », sans vices et faciles à piloter…
De nombreuses photos — la plupart peu connues — illustrent un texte en anglais agréable et facile à lire; mais pourquoi être allé copier on ne sait où un petit nombre de photographies pixélisées, certaines portant même les marques d’une forte compression numérique ? Par ailleurs, certaines des illustrations n’ont curieusement reçu aucune légende…
La mise en page de l’ouvrage est sobre mais réussie, à ceci près qu’on a parfois des difficultés à savoir si c’est l’auteur qui parle ou bien un témoin de l’époque, d’autant que Reg Winstone a fait le choix de ne pas recourir aux références. Une courte mais pertinente bibliographie conclut l’ouvrage.
Malgré nos réserves, ce travail reste passionnant à lire; il constitue un apport intéressant à la littérature consacrée aux débuts de l’aviation qui reste encore trop réduite, surtout si l’on compte les publications récentes: la meilleure approche de ces années cruciales reste à notre avis l’ouvrage « The Rebirth of European Aviation 1902-1908 », publié il y a bientôt cinquante ans par le Britannique Charles Gibbs-Smith…
Pierre-François Mary
346 pages, 23 x 23 cm, relié
1,800 kg
Avec l’aimable autorisation de
© Faustroll Books
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