Vous êtes ici : Récits et romans   

Tigres volants

De l’enfer au paradis
Richard Feeser

Esprits trop cartésiens, amputés de l’imagination, ou pékins du coin (l’intrigue se passe en Chine), passez votre chemin ! Ce roman n’est pas écrit pour vous. Il s’adresse à ceux qui veulent échapper à la grisaille quotidienne et s’offrir une petite virée dans une contrée céleste située à des années-lumière de notre bonne vieille Terre, ainsi qu’aux amateurs de mythologie. À ceux-là d’ailleurs, je conseillerai de savourer au préalable Le dernier vol de John Takeguchi (Éditions Vario, 2003) qui campe plusieurs personnages que l’on retrouve dans cet ouvrage (Lucien, Lola, Toumateth, Osiris, Isis, etc.)

Dans ces Tigres volants, le temps glisse, patine et coulisse à volonté. Dès la première page, le lecteur est renvoyé en l’an 682, près de Kao-Tsong. Taraudé par l’infécondité de sa dernière favorite, Lune de miel, l’empereur de la dynastie Tang décide d’envoyer aux dieux un message accroché à la queue d’un cerf-volant, afin d’attirer leur bienveillance. Hélas, par une manœuvre maladroite, Li Feng, le capitaine des gardes, le laisse s’échapper, privant le monarque de tout espoir de paternité. Voici pour la mise en bouche et le fil directeur de l’intrigue.

Nous suivons ensuite les pérégrinations du fameux billet (bambou de fertilité), d’abord récupéré par Chong, un paysan dont l’épouse ne parvient pas à lui donner — signe d’anathème divin — la descendance tant désirée. Les quelques idéogrammes couchés sur le papier de soie par la main impériale semblent pourtant être dotés d’un pouvoir magique puisque, placés sous la couche nuptiale — ô miracle — plusieurs enfants naissent. Au chapitre suivant, nous voilà propulsés en 1942, en pleine guerre sino-japonaise, aux côtés des têtes brûlées composant le groupe des « Tigres volants », commandé par le très charismatique général Claire Lee Chennault. Au bar de l’escadrille, la fille d’un coolie, Mei, contribue au repos des guerriers, mais se languit tout particulièrement pour l’un deux, le fringant Paul dont elle voudrait un enfant. Les prières qu’elle adresse aux dieux restent sans réponse jusqu’à ce qu’elle glisse sous le matelas un certain « bambou de fertilité », légué par son père. Saut de puce en direction de l’île de la Réunion, le temps de retrouver le couple attendrissant formé par Lucien et Lola depuis 2003. Débarrassés du lubrique et répugnant Guignol, nos deux sympathiques tourtereaux roucoulent et coulent désormais des jours heureux en compagnie de Colina, une poule « cocoricausante » rescapée du cyclone éponyme, héritée d’un vieil oncle de Hong-Kong. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si le ventre de Lola parvenait enfin à s’arrondir du « fruit de l’amour » et si le téméraire gallinacé ne s’obstinait pas à vouloir s’essayer au vol plané du haut d’un bougainvillier.

Jusque là, nous avons affaire à des personnages, qui, somme toute, sont de simples mortels. C’est après que cela se corse. Accrochez-vous, parce qu’il va y avoir un sacré chambard lors de rencontres du troisième type dans la énième dimension. Vous basculez soudainement dans le monde complètement déjanté de la Grande bibliothèque Céleste, résidence des dieux. Osiris, le maître des lieux, se perd en palabres et négociations avec des esprits et des âmes, en attente d’un nouveau karma, lesquelles ont partagé, au cours de leur existence terrestre, la passion pour tout ce qui vole. On retrouve ainsi Toumateth, savant égyptien brièvement réincarné en pilote de chasseur Zéro, Li Feng, l’ancien capitaine des gardes de Kao-Tsong détenteur du secret des cerfs-volants, Paul et d’autres pilotes des Tigres Volants. Les têtes brûlées des escadrilles du général C.L. Chennault chevauchent à présent des dragons célestes bienveillants (ceux de nos contes d’enfants sont toujours sanguinaires) et reproduisent les attaques en piqué de leur Curtiss. Pendant ce temps, le taïkonaute Wang, ancien pilote de chasse, s’apprête à embarquer dans la fusée « Longue marche ». Il est le petit-fils de Mei et de Paul, un pote à Pappy Boyington, et ignore à l’heure du compte à rebours, qu’il a une concurrente imprévue : la poule Colina qui accompagne Lucien et Lola dans tous leurs déplacements. Le couple fait justement la tournée de la parenté chinoise de Lola.

La suite est une invitation au voyage tant la description de paysages exotiques est joliment rédigée. Ce roman, léger comme une plume de colibri, écrit avec finesse, fluidité et tendresse vous mènera tout droit dans le monde des mythologies où tout est calme, luxe et volupté. Aimé ce livre ? Non, englouti ! Z’auriez pas encor’ un peu de rab’ de yin et de yang, M’sieur Feeser, par hasard ?

Corinne Micelli


152 pages, 14,5 x 21 cm, couverture souple

feeser200.jpg

Ancien élève de l’École de l’air (Promotion 1968, René Bigand), l’auteur a fait carrière dans l’Armée de l’air comme pilote de chasse et de reconnaissance. Il a quitté le service actif en 2000 et consacre désormais ses loisirs à l’écriture. Il est l’auteur de plusieurs essais et romans.

Le blog de l’auteur

Ouvrages édités par
Ouvrages de
En bref

Bleu Ciel Éditions

ISBN 978-2-918015-06-2

20 €