Depuis le célèbre film éponyme de 1986, le grand public connait l’existence de cette école de combat aérien de la marine américaine. L’idée de cet ouvrage est née outre-Atlantique au moment d’en célébrer le cinquantième anniversaire. L’éditeur avait initialement contacté un autre « frère fondateur » de l’unité, qui l’avait alors orienté vers Dan Pedersen, le premier officier à l’avoir dirigée. Et plus qu’un historique détaillé de Top Gun, ce livre est une autobiographie de Dan Pedersen, comprenant la création de l’école, et l’influence qu’elle a eue sur le combat air-air, principalement pendant la guerre du Viet Nam. Ce n’est donc qu’après un tiers de la lecture que la formation de la Navy Fighter Weapons School est abordée.
Encore une fois, et selon une tradition américaine bien établie, une personnalité expose sa vie, son œuvre, ses accomplissements, afin de servir d’exemple aux jeunes générations. Dan Pedersen évoque son existence de jeune pilote opérationnel, sur Douglas F-4D Skyray, ses rencontres avec d’anciens pilotes de chasse, sa volonté de faire perdurer l’art du combat rapproché, à une période où l’automatisation et le « tout missiles » prenaient le pas. Il parle aussi de sa vie privée, de la difficulté de concilier vie de famille et campagnes embarquées, de la guerre du Vietnam et des règles d’engagement qui donnaient l’avantage aux aviateurs de l’autre camp. La formation de Top Gun, dans un modeste mobil-home récupéré à Miramar et déplacé sans autorisation avec l’aide d’une caisse de bouteilles de scotch, fait penser sans hésiter à la série télévisée « Les têtes brûlées ». À bien des égards, on apprend beaucoup dans ce livre, sur ces neuf premiers instructeurs, pilotes et opérateurs de système d’arme, loin des clichés d’Hollywood, sorte de version moderne de moines guerriers ou de samouraïs, hommes dévoués et consciencieux du devoir du combattant, presque à l’excès, cherchant à tirer le meilleur du matériel volant (avion, radar, missiles comme presque personne ne l’avait fait avant eux), et surtout des hommes, en leur apprenant à combattre au-delà du manuel officiel. De même, la permission de voler à bord des MiG-17 et MiG-21 détenus en secret par l’U.S. Air Force sur la base aérienne de Nellis, et d’effectuer des combats simulés (ce que l’Air Force ne voulait pas et n’a pas su !) a permis d’affiner les doctrines enseignées à Top Gun aux premières classes d’élèves.
On trouvera encore remarquable l’idée de confier le commandement de cette nouvelle école à un simple officier, pas encore un officier supérieur et encore moins un amiral, afin d’avoir toute la souplesse d’esprit et de fonctionnement qui était nécessaire pour faire bouger les lignes, quand la majorité ne pensait qu’à sa carrière et à ne rien faire qui puisse la compromettre. Ce seront les résultats lors de la guerre du Vietnam qui prouveront le bien fondé du concept. Autre idée géniale des pères fondateurs de Top Gun: faire de leurs stagiaires diplômés des apôtres du changement lors de leur retour dans leurs unités respectives, afin que toute la chasse embarquée puisse, petit à petit, bénéficier de ces nouvelles pratiques. À ce titre, l’opposition entre l’Air Force et la Navy est plusieurs fois mise en avant, de même que la fréquente animosité inter-services.
L’autobiographie reprend ensuite son fil, mais l’évocation de Top Gun et des accomplissements des diplômés n’est jamais loin. Dan Perdersen poursuit une belle carrière dans la Navy, commandant de la VF143 Pukin’ Dogs, d’un Carrier Air Group, puis du porte-avions Ranger après le ravitailleur d’escadre USS Wichita. Il n’accédera malheureusement pas au rang d’amiral, pour des raisons politiques qu’il raconte sans détours. A plus de 80 ans, l’ancien pilote de chasse n’hésite pas à donner son avis sur la furtivité, le F-35, et un chasseur léger qu’il aimerait que son pays se procure, mais il n’est pas dupe de ce qu’un ancien président américain avait nommé « le complexe militaro-industriel ». Cette liberté de ton, tout au long des presque 300 pages, est très plaisante. Ajoutez à cela un style qui fait entrer le lecteur dans le cockpit, et vous avez un livre très agréable à lire.
JPO publie donc ici une très bonne traduction de l’américain par Renaud Joseph, mais étonnamment sans aucune référence à l’ouvrage original. De même, on ne peut que regretter l’absence totale d’illustrations, hormis les photos de couverture. Vu la richesse de la carrière de ce pilote, il est dommage de devoir recourir à internet pour découvrir son visage et celui des autres frères fondateurs, des personnages mentionnés, des multiples avions. Cette absence d’iconographie est le seul bémol de cette excellente production de l’éditeur au bandeau rouge.
Jocelyn Leclercq
293 pages, 15,3 x 24 cm, couverture souple
0,470 kg