Laissons au lecteur le soin de découvrir comment l’auteur, né dans une famille de vignerons du Valais suisse et promis à belle carrière de coureur automobile, se retrouve à faire ses première armes de pilote professionnel au-dessus de la forêt congolaise peu de temps après l’indépendance de cette ancienne colonie belge.
Si la littérature aéronautique en langue française a longtemps privilégié les souvenirs de pilotes ayant effectué la majeure partie de leur carrière dans une grande compagnie, il est réjouissant de voir publié le récit de carrières plus variées comme le fait ici Jean-Claude Rudaz. Toutefois, que l’on ne se méprenne pas; il ne s’agit en aucun cas d’établir une quelconque échelle de valeurs entre telle ou telle trajectoire professionnelle, d’autant que la plupart de pilotes professionnels n’aspirent qu’à intégrer une grande compagnie aérienne, celle qui aura le plus de chance de leur garantir un salaire jusqu’à la veille de leur départ en retraite… L’auteur tentera ainsi de rejoindre Swissair, sa candidature n’étant refusée qu’au prétexte qu’il ne maîtrise pas le « schweissdeutsch », patois germanique auquel on s’accorde à trouver quelques similitudes avec la langue de Goethe… N’oublions pas qu’une carrière riche de changements, c’est autant de périodes d’incertitude quant à l’avenir dans une profession très spécialisée.
Les souvenirs de l’auteur ont un double intérêt. D’abord, nous venons de le dire, sa carrière va prendre pendant quarante années des directions extrêmement variées, depuis le taxi-brousse aérien, jusqu’aux lignes intercontinentales — car il finira par trouver « sa » grande compagnie aérienne à l’autre bout de la planète. Mais en privilégiant ses souvenirs professionnels, il nous fait revenir de manière plus générale sur une période aujourd’hui révolue – même si elle est encore très proche — de l’histoire du transport aérien ; son expérience africaine nous permet cependant de retrouver avec un intérêt particulier le passé politique des pays arrosés par le fleuve Congo, dont l’Histoire reste toujours chaotique après cinquante d’indépendance.
Parmi les nombreux « mouvements » de la carrière de l’auteur, on en retiendra plus particulièrement deux, en commençant par l’expérience Transvalair, une petite entreprise de fret aérien dans la création de laquelle il sera personnellement impliqué, ce qui lui permet de nous présenter un point de vue plus riche que serait celui d’un simple navigant.
Autre lieu, autre mœurs, il terminera – ou presque – sa carrière aux commandes des avions de la compagnie coréenne Asiana, pour laquelle il participera activement à la mise en place d’une formation aux facteurs humains, dont l’ignorance a été à l’origine de nombreux accidents à travers le monde et que les structures sociales traditionnelles de bien des pays asiatiques ont du mal à intégrer, structures reposant souvent sur une obéissance stricte et incontestée à l’autorité hiérarchique. Ce problème reste d’ailleurs d’actualité de manière plus ou moins aiguë dans toutes les compagnies aériennes, ce qui permet à Jean-Claude Rudaz de faire un lien élégant entre passé et présent.
Cette élégance du style, que l’on retrouve tout au long de l’ouvrage, est une raison parmi d’autres qui nous incite à faire de Tour du monde en 24 000 heures de vol un coup de cœur des aérobibliothécaires !
Pierre-François Mary
340 pages, 15 x 23,5 cm, couverture souple
Coup de cœur 2010 de l’Aérobibliothèque