Le premier livre de Jonathan Largeaud, publié en 2009, traitait déjà du même sujet. Dans son introduction, l’étudiant en histoire contemporaine justifie correctement son deuxième opus, plus volumineux encore que ne l’était le premier. 391 pages dans un format à l’italienne, certes peu courant pour un livre à vocation historique, mais combien plus adapté pour un livre composé essentiellement d’illustrations.
Malheureusement, un certain nombre de défauts ou de manques que nous avions signalés dans notre recension du premier livre sont toujours présents et n’ont fait l’objet d’aucune amélioration ou remise en cause, ce que je trouve personnellement vraiment dommage. Certes, ce n’est pas en une année que Jonathan Largeaud aurait pu acquérir une culture générale aéronautique, mais il ne manque pas de bonnes volontés qui auraient apporté quelques judicieux conseils qui auraient évité quelques bourdes : page 26, les fuselages ne sont en rien ceux de Potez 631, mais ceux de Fairey Battle britanniques, les deux photographies d’angles différents ne laissant aucun doute, tant pour la silhouette de l’appareil, les cocardes britanniques et même le code d’unité discernables sur l’un d’eux. La page 202 montre une photographie prise lors d’un raid par un Mosquito et l’historien croit bon d’ajouter « le chasseur-bombardier mitraille de toutes ses armes… ». Sauf que les assaillants étaient des Mosquito B IV… sans aucun armement de bord ! Difficile de mitrailler un bâtiment quand on n’a que des bombes à bord ! « Le diable est dans les détails », dit-on. Le spécialiste qui creuse un peu la question trouvera facilement que Peter Shand et John de L. Wooldridge étaient Wing Commander et non Squadron Leader, et que ces trois raids de Mosquito de février 1943 pouvaient être facilement relatés du point de vue de la Royal Air Force. La confrontation avec les observations du Dr Jean Chauvin et des rapports de la défense passive auraient apporté du poids à cette publication.
Côté américain, les unités de chasse sont des Fighter Group, pas des Fighting Group. Page 368, on découvre deux photographies de la tombe d’un aviateur américain, Owens – 1904-1944. Jonathan Largeaud légende le cliché « au vu de son âge, il devait être officier pilote ou bombardier. » En fait, le Staff Sergeant (sergent-chef) Harry E. Owens était le mitrailleur latéral droit du B-17. Cinq de ses équipiers sont morts, deux ont été faits prisonniers et un a échappé à la capture. Toutes ces informations existent, sous forme publiée ou directement dans les Missing Air Crew Reports ; encore faut-il se donner la peine de les chercher. Je passe sur d’autres menues broutilles qui n’échapperont pas au lecteur avisé. Pour les unités de la Luftwaffe, les numéros de la Staffel et du Gruppe sont systématiquement juxtaposés. Ce ne sont que de menus détails, mais ils témoignent de la faiblesse des connaissances générales sur l’histoire des armées de l’air, les unités, l’organisation, les grades, les matériels. Pour un passionné d’aéronautique militaire comme il nous est présenté, ces lacunes sont étonnantes.
J’ai observé un manque criant de détails, particulièrement en ce qui concerne la Royal Air Force et l’US Army Air Force, mais c’est probablement parce que ce sont des armées de l’air que j’étudie moi-même avec passion. Le jeune historien ne connaît guère l’organisation des raids du Bomber Command, ni même l’existence de la série de livres Bomber Command Losses de William Chorley, ou ceux sur les pertes américaines, car si la perte d’un appareil est parfois mentionnée, aucune tentative n’a été faite pour l’identifier (avion, unité, équipage). La seule fois où cela est partiellement réalisé, c’est dans la recension de son premier livre dans l’Aérobibliothèque que Jonathan Largeaud a trouvé le numéro de série du Halifax en question !
J’ai également déploré un certain nombre de fautes, de coquilles qui s’égrènent tout au long du livre, la répétition des mêmes notes de bas de page, dont celle qui emploie l’expression « référence archivistique » qui devient vite énervante. J’ai même regardé dans le petit Larousse : archivistique, nom féminin, science des archives. Ce n’est donc pas un adjectif comme on le trouve pourtant en bas de page de façon très récurrente. Et quand on parle des archives de la RAF à Londres, de quel service parle-t-on ? L’Air Historical Branch, le RAF Museum de Hendon ou The National Archives à Kew ? Par ailleurs, les angles de prise de vues des photos actuelles, pour réaliser un « matching » avec les images d’époque ne sont pas toujours bien identiques et c’est un peu dommage.
Parmi les bons points du livre, il faut insister sur la très bonne présentation et l’excellente qualité de l’impression, de la mise en page et bien sûr, la richesse des photographies du Dr Chauvin. Outre celles qu’il a prises lui-même, il en a collecté d’autres et s’est même procuré des vues aériennes auprès de l’Imperial War Museum. En outre, ces photographies d’immeubles éventrés, d’usines dévastées, de voies ferrées mutilées sont toutes bien légendées et localisées, ce qui renforce leur poids historique.
Le livre contient aussi ses croquis de l’époque, suppléant des images qu’il ne pouvait pas prendre. On apprécie aussi les extraits de son journal, soit sous forme d’images des pages originales, soit entièrement intégrées dans le texte. Ce double usage est une bonne idée et évite la monotonie qui aurait résulté de l’exclusivité de l’un ou l’autre procédé. De même, l’emploi des archives de la défense passive est également un atout de plus pour la qualité du livre.
L’architecture du livre, à la fois thématique et chronologique, annoncée dans l’avant-propos du Dr Chauvin, est une bonne idée. Elle permet de bien clarifier et différencier les cibles et les attaques subies. À mon avis, le sommaire aurait été mieux à sa place au début de l’ouvrage, mais il a l’immense mérite d’exister. Dommage qu’il ne soit pas dans l’habitude française de publier un index onomastique, il aurait été ici fort utile.
Enfin, Jonathan Largeaud et Jean Chauvin apportent leur contribution argumentée contre le mythe des bombardiers italiens, démontrant qu’il s’agissait (dans le cas qui les concerne) de Junkers Ju 88 du II./KG 30. Une des bombes non explosée sera d’ailleurs retrouvée en 1980 lors de travaux, et il s’agissait clairement d’un projectile allemand. Nous les en remercions.
En conclusion, les remarques plutôt négatives que j’avais formulées pour le premier livre de Jonathan Largeaud sont malheureusement toujours valables pour le second. Il est vrai que ce deuxième volume n’est pas une édition révisée, mais un nouvel ouvrage, un album même, comme il l’écrit lui-même dans son introduction : « La photographie tient la place d’honneur et supplante donc tout le reste. Le présent ouvrage s’adresse à tous. C’est un ouvrage photographique où le poids des mots est marqué, durement, par le message que nous livrent les photographies et les documents. » En tant que tel, c’est indéniablement une belle réussite, un bel ouvrage que les Tourangeaux ne manqueront pas d’ajouter à leur bibliothèque. Si le lectorat n’est pas connaisseur, il appréciera ce beau livre. Mais il y manque encore ce supplément d’informations que les lecteurs exigeants (trop ?) comme les pinailleurs dans mon genre recherchent dans les livres « historiques ».
Jocelyn Leclercq
394 pages, 29 x 24 cm, relié